Les nuages dans le ciel étaient exactement comme ceux tracés par Kristjan Raud dans son dessin A deux. Comme eux, ils étaient rectangulaires, anguleux – semblables à des blocs de glace sur la mer bleue. Ils se déplaçaient rapidement et donnaient l’impression de devoir arriver à l’heure. Ils avaient l’air d’être complètement indifférents à la vie d’ici-bas, et ils l’étaient d’ailleurs bel et bien.
S.B. les observait. Entre les nuages apparaissaient de temps en temps des étoiles qui n’avaient pas de noms.
S.B. restait sous le ciel simplement parce qu’il n’avait jamais vu auparavant de nuages d’une telle beauté picturale, bien qu’il l’eût pourtant souhaité. Ils provoquaient dans l’âme un sentiment d’intranquillité, aggravaient encore la sensation de solitude, une solitude cosmique, avec la certitude que l’on n’est pas éternel dans ce monde, que les nuages ne font que fuir en passant au-dessus de nous et qu’ils le feront encore quand on ne se tiendra plus là parce qu’on sera mort.
Les nuages venaient du nord-ouest et traversaient le ciel. Il avait plu tout le jour même si ce n’était pas encore le printemps, on était au milieu de l’hiver. La nuit, la pluie avait cessé. Mais dans les fossés courait le chant de l’eau qui s’y était accumulée.
En bas, sous le ciel, il n’y avait pas de vent, les cimes des arbres demeuraient immobiles. Mais en haut soufflait le vent céleste qui maniait le fouet aux trousses des nuages.
Finalement tous avaient traversé le ciel, tous ces nuages anguleux qui se déplaçaient séparément… les suivants venaient déjà unis, collés en une masse homogène, un tout compact, un rideau gris. Et on ne voyait plus les étoiles scintiller, on ne voyait pas les cimes des arbres. Tout devenait sombre et gris, seul le chant de l’eau se faisait entendre.
Traduit de l’estonien par Guillaume Gibert