Aphorismes extraits du recueil « Retour vers le futur »

De la nature tu seras roi si tu considères chaque plante et chaque animal comme tes égaux.

Tu es toi-même la nature. En perdant ton lien avec elle, tu perdras le rapport sincère à toi-même. 

Tu peux être en parfaite harmonie avec la nature, mais elle-même n’en sait peut-être rien.

Plus notre dépendance à l’égard de la nature se réduit, plus nous dépendons d’elle.

 

On connaît la nature surtout si elle n’est pas notre environnement naturel.

Seule la nature peut attribuer les obligations de sorte qu’elles deviennent des besoins évidents. 

La nature ne réserve des surprises qu’à celui qui est capable d’être surpris.

Communique avec la nature de manière désintéressée. Même si, en elle, se trouve à profusion ce qui s’efforce profiter de toi. 

Les nuages protègent le cosmos de la souillure de la Terre.

 

Parle avec les animaux comme avec les humains, mais avec moins de ruse.

Si tu manges de la viande ou des fruits, que ton corps se sente prêt à devenir nourriture pour les animaux et les végétaux.

Même les animaux peuvent être inhumains.

À quoi bon renoncer à la viande ? Les plantes ont aussi une âme, et de surcroît elles ne peuvent pas prendre la fuite, leur destruction est donc un plus grand péché.

L’être humain est une plante : il vit de ce qui l’entoure.

 

Chéris un lieu au point de vouloir y mourir.

Tout endroit au monde est le tien si tu t’y es trouvé. Pour cette raison, il est inutile de le convoiter.

Ta part du monde est celle dont tu te souviens.

Celui qui ne remarque pas le printemps vit à jamais en hiver.

C’est surtout quand elle est coupée qu’une fleur exhale son odeur.

 

La vie est une dette qui ne reste jamais impayée. 

Partir du principe que la vie se mérite donne de la valeur à la vie.

Vivre est la seule chose efficace contre la mort.

Ceux qui naissent humains ne le deviendront pas tous.

Pour bien mourir, il faut avoir bien vécu.

Le sage meurt sans jamais savoir comment il aurait dû vivre ; l’idiot n’a pas ce problème.

 

Même ceux qui vivent plusieurs vies à la fois finiront un jour par mourir. 

Tu reprendras au matin ta vie là où tu l’as laissée la veille, avec l’espoir qu’un changement radical se produise durant la journée et que demain commence une vie totalement différente. 

Pour chacun de nous, le monde est toujours unique et nouveau. 

Dans la vie chaque répétition est unique.

Ta vie sera intéressante si tu inventes toi-même une nouvelle règle pour chaque situation, fût-elle déjà connue de longue date.

 

Pour donner un sens à ta vie, commence à chercher le sens de la vie.

Chercher un sens à la vie, n’est-ce pas l’une des manières de la fuir ?

En un certain sens, des buts sont donnés à l’homme dès sa naissance, toute la question est de savoir quelles relations s’établissent entre les buts innés et les buts acquis au cours de la vie.

Une grande partie de ce qui est beau autour de toi te reste invisible, parce que tu te précipites vers le but que, toi, tu considères comme beau.

Évalue la distance qui te sépare de tes propres buts, tu n’auras pas besoin alors de te presser.

 

Hélas, les résultats ont aussi des conséquences.

Ce n’est pas glorifier un but qui est tendancieux, mais ne pas dire ce qui arrivera quand on l’aura atteint. 

Si tu veux réussir, formule ton but après avoir constaté les résultats de tes actions.

 

Vis de sorte qu’une semaine te paraisse une année. Ainsi tu prolongeras ta vie.

Et pourtant : ton unique chance d’accomplir quelque chose est de croire que tu vivras éternellement.

L’aptitude à s’engager tout entier dans chaque acte – comme si c’était le dernier – ne vient pas du fait qu’on penses à la mort, elle est donnée à la naissance à beaucoup de gens.

 

Une fraction de l’éternité reste l’éternité, mais malgré les mathématiques, il faudrait la diviser en grandeurs finies pour éviter qu’elle nous opprime ou nous déprime.

Même les idées immortelles ont germé un jour dans l’esprit surchargé d’un éphémère humain.

La beauté d’une pensée a aussi une durée, elle est aussi difficile à conserver que la beauté d’un visage.

Tant que notre pensée reste immobile, le temps est à l’arrêt.

Si tu n’es pas capable d’être responsable de ton temps, sois responsable de l’éternité.

 

Si tu es fort, tu vivras avec ton temps. Pour ne pas le faire, tu devras te montrer beaucoup plus fort encore.

D’un homme qui gâche son temps, on peut dire que c’est le temps qui le gâche.

(Tagasi tulevikku, 1985)

Traduit de l’estonien par Françoise Sule