Casanova fait ses adieux

     Tout était fini maintenant. Hillar Kaselaid, en rentrant de chez le médecin, se laissa tomber dans son fauteuil où il demeura une heure entière sans faire un mouvement. Puis il se leva, alla fermer les volets, tira les rideaux, et resta pendant quarante-huit heures dans l’obscurité complète, sans boire, sans manger, sans dormir. Étendu immobile, dans un engourdissement presque cataleptique, Kaselaid ne sentait plus vivre en lui que son cerveau, qui tournait sans relâche autour d’une seule et même idée, d’une seule et même image. Mais cette idée se dérobait toujours, cette image violentait sa raison. Et Kaselaid, le preux Kaselaid, se surprit à se plaindre : pourquoi fallait-il que ce fût lui, lui, dont le bonheur suprême était justement de voir, de tout voir ? Et le preux Kaselaid se surprit à pleurer, à pleurer à chaudes larmes, comme jadis, enfant, une fois qu’il était très malade et qu’il avait entendu dire qu’il pourrait mourir.
    En se plongeant ainsi dans cette obscurité prolongée, Hillar Kaselaid voulait se donner l’avant-goût de la nuit éternelle qui, suivant les pronostics des médecins, l’attendait bientôt ; il voulait connaître ce qu’éprouvent les enterrés vivants. Mais les sensations et les impressions qu’il recueillit ne devaient pas être très rassurantes, car, à peine sorti de sa nuit d’essai, il tomba à genoux devant le soleil qui, par les fenêtres libérées, entrait à flots dans la chambre, et il joignit les mains, en extase. II n’avait prié qu’une seule fois dans sa vie avec une telle ferveur : c’était dans sa jeunesse, quand il avait failli se noyer et n’avait échappé à la mort qu’après une lutte désespérée.
    Dès lors, Kaselaid s’adonna au culte de toute la splendeur créée dans le monde par le soleil divin. Au jardin, dans la forêt, dans les prés et dans les champs, il se livrait à une contemplation mélancolique, douce et résignée. Il pouvait demeurer des heures entières sans bouger, absorbé dans l’observation d’une fleur, d’un insecte, d’un coquillage. Quand le temps était clair, il recueillait précieusement le bleu du ciel ou le vert de la mer. Parfois aussi il s’aidait du microscope ou de jumelles, pour arriver à distinguer nettement et dans tout leur relief les formes floues ou les objets que ses yeux affaiblis ne pouvaient plus apercevoir.
    Mais c’est aux êtres humains qu’Hillar Kaselaid consacrait le plus de zèle et de ferveur. Avec une application de fourmi, il se mit à collectionner les visages humains, s’efforçant d’en retenir les moindres traits et expressions, pour le jour où toutes couleurs, toutes lignes, toute lumière, se seraient éteintes. Il employait ses journées à flâner dans les rues ; les nuits, il les passait au bar, jusqu’au matin. Il allait souvent au théâtre, au concert, au cinéma. Où qu’il fût, il écoutait à peine : il ne faisait que regarder.
    Puis il entreprit ses visites d’adieu.
    Hillar Kaselaid ne pouvait avoir d’amis, c’eût été, dans son cas, quelque chose d’anormal, presque de pervers. Parmi les hommes il n’avait que des relations, car des sentiments profonds, il n’en avait jamais éprouvé que pour l’autre sexe. L’intimité entre deux hommes était chose qu’il ne pouvait comprendre, et il s’étonnait toujours qu’elle fût possible ou qu’on l’estimât telle. Sur la liste qu’il dressa des personnes auxquelles il voulait rendre visite, ne figuraient que trois noms d’hommes, tandis que des femmes, il y en avait au moins deux douzaines. Et c’est par elles qu’il commença.
    La première qui lui ouvrit la porte était une dame à l’âge critique, jouissant déjà d’un confortable embonpoint. Il suffisait d’un coup d’œil, même rapide, pour voir que la dame était une bonne épouse et une tendre mère, qui avait mis au monde plusieurs enfants, en promettait encore davantage, et les avait tous nourris elle-même. Hillar Kaselaid, s’adressant à ce rare exemplaire du sexe féminin, l’appela Mme Reigam. Mais au temps où il l’avait aimée, elle portait un autre nom.
    Installé en face d’elle, Kaselaid restait à la regarder gravement, avec tant de persistance que Mme Reigam, gênée, s’écria :
    — Mon Dieu, que voulez-vous donc découvrir en moi ?
    — Je cherche en vous Liina Kingsepp.
    — Difficile à retrouver sous cette couche de graisse…
    — Voilà déjà ses yeux de bébé.
    — De bébé ?
    — Oui, chère amie, et voici du même coup Liina Kingsepp tout entière devant moi ; telle qu’elle était à notre première rencontre : cheveux blonds couleur de beurre, sage petite raie au milieu de la tête mignonne, deux superbes nattes dans le dos ; robe blanche comme le narcisse, ceinture rouge comme la fraise, souliers blancs. Les cheveux, naturellement, n’étaient pas ondulés, les lèvres et les joues étaient sans fard, les ongles n’avaient pas passé par la manucure. Et, dans ses mains gantées de blanc, Liina Kingsepp tenait un volume de poésies : Frauenliebe und leben, de Chamisso. C’était le temps où nous étions tous germanophiles, et où ce Français germanisé était à l’honneur chez nous, bien que partout ailleurs il fût déjà passé de mode depuis longtemps.
    « Telle elle se tenait devant moi, cette dame en grande toilette, pareille à une enfant. Et, tandis que, dans une dévotion profonde, je goûtais la fleur blanche de sa robe avec la fleur blanche de son innocence, un étourneau malin laissa choir quelque chose sur le livre. Si c’était là une opinion, c’était sûrement une critique, et des plus palpables. Mais qui était l’objet de cette critique : le poète ou de lecteur ? Je lus cette question sur les lèvres effrayées de Liina Kingsepp, et je lui jurai solennellement que c’était le poète.
    « Mais ce qui acheva de me ravir en Liina Kingsepp, ce qui me toucha jusqu’au fond du cœur, c’est ce qui arriva ensuite. Comme nous nous étions embrassés, embrassés sans arrêt, ma Liina, reprenant haleine, me demanda, ses yeux de bébé presque exorbités par l’angoisse : « Et si je deviens mère maintenant ? » De sa vie votre vieil ami n’a autant ri. Et, caressant le blond couleur de beurre de votre tête, il mouillait de ses larmes vos petites mains d’enfant, et il riait. Et les oiseaux eux-mêmes riaient sur les branches, et autour de nous, dans la verdure printanière, riaient les arbres et les buissons.
    — Mais vous rappelez-vous encore combien de temps vous êtes resté sous ce charme ?
    — Sans doute, Madame Reigam : six longues semaines !
    — Six longues semaines ! répéta Mme Reigam, et Hillar Kaselaid découvrit alors qu’elle n’avait plus ses yeux de bébé, mais des yeux riants de femme.
    — Oui, Madame, parce qu’une autre me prit ensuite, d’une autre manière. Que pouvais-je faire pour vous, et pour cette autre, et pour toutes les autres encore ? C’était plus fort que moi.
    — Mais je croyais en vous, moi !
    — Et moi aussi je croyais en moi, mais je me trompais de nouveau à chaque fois… Rappelez-vous, je vous prie mon amie, que je vous ai mise en garde contre moi, la dernière fois, quand vous m’avez appris que quelqu’un d’autre vous recherchait. Je vous le recommandai, parce que je le connaissais… Et aujourd’hui, vous avez un intérieur charmant et toute une nichée de jolis enfants.
    — Et pour eux, Hillar Kaselaid, pour eux, je vous remercie.
    L’objet de cette reconnaissance sentit soudain sur sa joue les lèvres tièdes de Liina Reigam. Il ferma les yeux un instant, comme pour approfondir le sentiment que ce geste éveillait en lui, puis il se hâta de prendre congé.
    — Cette reconnaissance, Liina, m’émeut et me rend très heureux. Mais, maintenant, laisse-moi partir, il me reste encore beaucoup de visites à faire… Quelles visites ? Des visites d’adieu, chère amie, oui d’adieu…
    Et il disparut sans autre explication.
    Les deux visites suivantes furent vaines : Hillar ne trouva personne. Il griffonna quelques lignes sur sa carte, promettant de revenir, et se hâta de reprendre sa route, préoccupé par la crainte de nouvelles déceptions. Revenir, c’est facile à dire, songeait-il, je ne suis pas sûr qu’il me reste encore assez de temps.
    Mais la chance lui sourit. Il n’avait pas fait dix pas qu’il rencontrait Valba, sa femme divorcée.
    — Tiens, mon Hillar en personne ! s’écria Valba, dont la bouche et les yeux expressifs riaient de plaisir. Des années que je ne t’avais vu ! Comment est ta santé ? Que deviennent tes yeux ?
    Les yeux protégés par des lunettes foncées contre le regard interrogateur de Valba, Kaselaid pouvait passer à un autre sujet sans donner de réponse. Il s’aperçut qu’ils se trouvaient à proximité d’un des meilleurs cafés-restaurants de la ville et il décida de faire plaisir à Mme Valba.
    — Tu aimes toujours autant les cafés ?
    — Oh, oui, j’en raffole.
    — J’allais chez toi Mais maintenant, c’est toi mon invitée. Si tu te souviens, Valba, c’est aussi dans un café qu’a eu lieu notre première et décisive rencontre.
    — Je me souviens de tout, Hillar, de tout… Mais pourquoi donc voulais-tu venir chez moi ?
    — Pour te voir… Peut-être serai-je bientôt englouti par un grand dragon noir. Je t’évoquerai parfois alors, pour passer le temps. Tu étais une de mes meilleures femmes.
    — Un dragon ? Quel dragon ?
    Mais la réponse lui fut épargnée, parce qu’ils arrivaient devant la porte du restaurant, qui leur fut aussitôt ouverte par les chasseurs en livrée. Et à peine avaient-ils choisi une table dans la grande salle de l’établissement que le jazz, inaugurant le five o’clock, commença à faire un tapage qui rendait impossible toute conversation suivie. Mais Kaselaid ne le regrettait guère. Il s’absorba dans la contemplation de celle qui avait été sa femme, étudiant avec une ardeur d’explorateur tous les traits, les moindres rides du visage, celles qui lui étaient si familières et celles qu’il ne connaissait pas. Il s’abandonnait avec joie à la vision obsédante éveillée en lui par cette ambiance, la musique, le public animé, l’alcool grisant. Avec une merveilleuse netteté, comme sur un écran, Hillar revoyait sa rencontre avec Valba Polder dans un bar, sur une plage estonienne. Une dame élancée s’était soudain détachée d’une compagnie assise à une table voisine et s’était dirigée tout droit sur lui :
    — Vous m’avez appelée… Me voici.
    — Je vous ai appelée ?… Par télépathie alors, sans doute ?
    — Probablement… Puis-je rester ?
    Et ce fut Kaselaid, et non son invitée imprévue, qui rougit et balbutia :
    — Je vous en prie… Merci…
    Et, tranquillement, on s’était installé en face de lui, on regardait l’étiquette de sa bouteille, on le regardait tranquillement lui-même. Tout cela sans sourire conventionnel : le visage n’exprimait qu’une gentillesse naturelle et une curiosité ingénue. « Quelqu’une de ces… », avait été la première pensée de Hillar. Mais non. Il se ravisa aussitôt, frappé par l’expression des yeux fiers. Les femmes sont toujours des enfants, et celle-ci paraissait avoir cinq ans. Parmi ces femmes-enfants, il y en a de méchantes, de capricieuses, de menteuses. Mais celle-ci donnait l’impression d’une gentille enfant.
    Et, à dater de cette heure, ils appartenaient l’un à l’autre. L’union officielle suivit seulement six mois plus tard. La raison de cet ajournement était dans le passé de Mlle Polder. Hillar n’était pas sûr que son attachement pour elle fût durable. Alors à quoi bon s’exposer aux ennuis de la procédure officielle, pour risquer ensuite d’en subir une autre bien plus compliquée ?
    Le monde serait vraiment trop monotone sans cette infinie variété des types humains. Bien que Hillar eût connu déjà nombre de femmes, Valba représentait un type nouveau pour lui. À s’en tenir à la morale bourgeoise qui, depuis l’étroite bigoterie du moyen âge jusqu’à nos jours, n’a guère évolué, elle était, du point de vue sexuel, « corrompue jusqu’à la moelle ». Dès la première nuit, elle avait avoué, ou plutôt raconté en toute simplicité à Hillar l’histoire de ses prédécesseurs, qui étaient fort nombreux, étonnamment nombreux pour une femme de vingt ans. Et ce qui avait le plus frappé Hillar dans son récit, ce qui lui en avait imposé, presque malgré lui, c’était, outre sa sincérité, l’impudeur absolue avec laquelle elle parlait des choses les plus intimes, délicates et pénibles, et avec des mots fort étranges dans une bouche féminine. Mais il comprit bientôt qu’il n’y avait là ni perversion, ni vulgarité, ni arrogance ; ce n’était que la plus parfaite naïveté, voire l’innocence, voire la pureté, et, en dernière analyse, la jeunesse inexpérimentée. Elle lui cita, par exemple, avec un sérieux comique, un simple agent de police à qui elle s’était donnée alors qu’elle le voyait pour la première fois de sa vie. Pourquoi ? Il l’avait tellement suppliée ! Elle avait eu en outre une liaison durable avec un gentilhomme balte, liaison qui avait eu certaines conséquences indésirables. L’ami avait d’abord réglé la note du médecin, mais avait exigé plus tard le remboursement. Pauvre étudiante, elle n’avait pas d’argent. D’autre part, son amour-propre ne lui permettait pas de refuser le paiement. Elle fut alors obligée pour quelque temps d’accorder ses faveurs à un riche quinquagénaire, qui la tira d’embarras. Ses relations avec le noble gentilhomme avaient naturellement pris fin.
    Ayant tout avoué, Valba Polder demanda :
    — Eh bien, Hillar, suis-je une grande pécheresse ? Et Kaselaid répondit :
    — Oui, si ce que tu as fait mérite vraiment le nom de péché. Mais je constate que tu ne sais pas toi-même si c’est bien ou mal. Les caractéristiques mêmes du péché font donc défaut. Et si, malgré tout, tu as fait mal, c’est que c’est chez toi une nécessité, sinon même une fonction naturelle, et qui ne saurait être condamnée par nul homme raisonnable.
    Sur quoi Valba s’était agenouillée devant son nouvel ami et lui avait baisé les mains. Elle en faisait autant, par la suite, toutes les fois qu’elle était attendrie.
    — Et combien de temps durera une affection aussi débordante ? demanda Hillar.
    — Je te baise les mains tant que je t’aime. Je n’ai pas d’autre mesure.
    — Donc, si tu ne le fais plus, c’est la fin ?
    — C’est cela, mon ami.
    — Et ta fidélité ?
    — Elle ne survit pas à l’amour, elle non plus.
    Mais l’amour de Valba se montra plus durable qu’Hillar ne se risquait à le prévoir. Les mois passaient, et Valba baisait toujours les mains d’Hillar. Et plus avançait et s’approfondissait leur intimité, plus ils s’enchantaient l’un l’autre. Ils furent ainsi amenés au mariage légal.
    Mais le mariage ne devait pas leur porter bonheur. Dès lors commença à peser sur eux, à leur insu, le vague sentiment d’une contrainte. L’union officielle dura un an et quelques mois encore. Puis arriva un moment où Valba oublia de baiser les mains de Hillar et enfin le jour vint où elle lui déclara, avec une simplicité idéale, quelle en avait assez de lui.
    — Moi aussi… fut la réponse de Hillar.
    — Dis-moi, mon ami, s’écria Valba en l’entendant, ne sommes-nous pas bien légers ?
    — Non, répondit Hillar, nous sommes seulement droits et sincères. Il y a des gens qui peuvent soutenir une union refroidie. Mais d’autres n’en sont pas capables. Et ces derniers sont les plus honnêtes et les plus courageux (je ne parle naturellement pas du cas où les premiers sont liés l’un à l’autre par des devoirs, lesquels n’ont rien à voir avec l’amour). Quant à nous deux, Valba, nous devons tirer une précieuse leçon de la faillite de notre ménage : nous sommes de ceux auxquels il n’est pas permis de contracter des engagements à long terme avec l’autre sexe, c’est-à-dire de se marier selon la loi. Nous y sommes réfractaires.
    — Comme c’est triste, Hillar !
    — Ce n’est pas triste du tout. Nous sommes ainsi faits. Nous avons reçu en partage du Créateur une aptitude à nous enflammer très facilement. Bien que nos sympathies et antipathies soient plus prononcées que chez les autres et que nous soyons plus difficiles dans notre choix, nous nous éprenons pourtant plus souvent et plus spontanément, parce que notre sens érotique est plus développé et plus affiné. Il est en quelque sorte plus riche en fonds de roulement. Mais nous gaspillons notre capital et notre feu ne sait pas tenir longtemps.
    — Donc, nous ne sommes que des dilettantes ?
    — Des dilettantes, soit. Mais non des criminels, comme le prétend la morale de la médiocrité. Don Juan, Tannhäuser, Faust, Casanova, ainsi que les hétaïres de tous les temps ne sont pas en enfer ; c’est au Ciel, en cachette du Vieux Père, qu’ils déplorent leurs erreurs et leurs infortunes, puisqu’ils ne sont que ses œuvres avortées, et comme tels, affranchis de toute responsabilité personnelle.
    — Oh ! si c’était vraiment comme ça !
    — Je n’en doute pas. Le vieux maître de Là-Haut, auteur de nos cerveaux et de nos cœurs, a toujours toléré et tolère encore aujourd’hui toutes les variétés d’amours et de mariages, depuis la polygamie, la polyandrie, le concubinat, jusqu’à la pédérastie et au lesbisme. Et l’homme, sa créature, n’a pas le droit de se montrer moins tolérant. Il n’y a que la sodomie que le Créateur ne puisse supporter, comme nous l’apprend la Bible…
    Hillar Kaselaid se rappelait encore ce que Valba, pensive, le doigt sur le front, lui avait répondu :
    — Moi, ce qui me pousse à quitter l’ancien pour 1e nouveau, ce n’est pas tant ma facilité à m’enflammer : c’est plutôt cet instinct qui incite l’humanité à chercher ou à inventer toutes sortes de nouveautés, et cela même par les voies les plus dangereuses. Ce qui me pousse, m’entraîne, c’est l’esprit d’aventure, je veux dire cette même force irrésistible qui pousse les explorateurs vers les pôles, dans les profondeurs de la mer, vers les terres inconnues et jusque dans la stratosphère.
    — Et tu trouves ce que tu cherches ?
    — Parfois oui, parfois non, cela dépend. Mais, en réalité, c’est la recherche elle-même qui m’importe plus que son succès.
    — Il y a une parenté d’âme entre nous, Valba.
    — Et pourtant, voici que nous renonçons l’un à l’autre !
    Kaselaid fut tiré de ces souvenirs, non parce que l’orchestre se tut soudain, mais parce qu’il sentit tout à coup sur sa main gauche, qu’il avait abandonnée au bord de la table, la caresse d’un doigt chaud et doux. Et il entendit Valba qui disait :
    — Hillar, je sens une tristesse secrète qui se dégage de tout ton être et qui commence à me troubler.
    — Heinrich, mir graut von dir, répondit Hillar en souriant.
    — Je ne crois pas à ton insouciance, elle est feinte. Et ce monstre dont tu parlais tout à l’heure qui veut t’engloutir ?
    — On joue une rumba, Madame. Pourrais-je vous prier ?…
    D’ordinaire, Kaselaid savait ce qui, chez une femme, l’attirait, le retenait. C’était tantôt une qualité physique, tantôt un trait de caractère, parfois l’un et l’autre. Il arrivait aussi que ce fût, non une qualité quelconque, mais précisément l’absence de toute qualité particulière. Et pourtant jamais il n’avait réussi à définir, ou même seulement à soupçonner quelle sorte d’attrait l’avait obligé à capituler devant Juta Kärbis. Il l’avait rencontrée sur un bateau de la ligne Helsinki-Stettin, et bien qu’il dût aller à Paris, sa nouvelle amie l’avait décidé à l’accompagner à Kissingen, que lui avaient prescrit les médecins. L’année suivante, ils passèrent de nouveau quelque temps ensemble au même endroit. Mais quand ils furent de retour au pays natal leurs relations se réduisirent aux visites de Juta chez son ami, en ville. Et comme Mme Kärbis était mariée avec un pasteur et vivait à la campagne, ces visites étaient rares et clandestines.
    Était-ce la fougue et l’emportement de sa passion à elle qui avaient subjugué Hillar Kaselaid ? Mais dès leur lune de miel, cette passion ne manqua pas de s’accompagner d’une jalousie sauvage, qui devint bientôt une lourde croix pour l’un et l’autre. Hillar se sentait continuellement observé et espionné. Il apprit même que sa maison était sous la surveillance d’une mégère, ennemie jurée de l’homme, une ancienne couturière de Mme Kärbis, chargée par sa patronne d’avoir l’œil sur les relations de Kaselaid avec les autres femmes. Il se rappelait encore un trait plaisant, une nuit où il avait été obligé de coucher à l’hôtel, car il lui avait été impossible de rentrer chez lui : sa terrible amie, ayant trouvé sa porte fermée et le croyant chez une autre, avait bouché le trou de la serrure avec du sable, si bien que la clef ne pouvait plus tourner.
    Le nom de Juta, avant son mariage déjà, était connu en Estonie, et Hillar avait entendu parler d’elle depuis longtemps. Juta appartenait à cette race de sportifs qu’on appelle chez nous les leaders de la société, c’est-à-dire qu’elle luttait. Elle luttait sans relâche et depuis des années. Elle luttait contre l’alcoolisme et contre la prostitution, pour la protection des animaux et contre la pornographie, contre la jupe courte et pour les cheveux longs, contre le maquillage, les annonces matrimoniales et les concours de beauté. Sans doute se serait-elle battue contre les ailes du moulin, aux côtés de Don Quichotte, si elle avait vécu au temps de Cervantès. Elle parlait en public, écrivait et participait activement à plusieurs organisations féminines tant à la ville qu’à la campagne. C’est à la lutte pour « 1e progrès culturel de la femme et de la société estoniennes » qu’elle consacrait toute sa vie et toutes ses facultés.
    Veuve depuis deux ans, Juta Kärbis, qui était maintenant une dame frisant la quarantaine, vivait à la ville avec ses deux fillettes. Kaselaid la trouva trônant devant un bureau chargé de papiers, occupée à dépouiller le courrier du matin. Tout son être exprimait une joie presque extatique, et elle ne songea même pas à s’étonner de l’arrivée de ce visiteur qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps. Tenant à la main une lettre qu’elle brandit devant Hillar, elle s’écria d’une voix perçante comme une vrille :
    — Une lettre de Lady Aberdeen !
    — Oh, oh, vraiment, de Lady Aberdeen en personne ? Et qu’est-ce qu’elle écrit ?
    — Pensez donc, elle me convie moi aussi à la lutte pour la paix et la fraternité des peuples !
    — C’est bien d’actualité, en effet.
    — Mais, je viens de recevoir également un appel de Mrs Hopkins, encore bien plus actuel ; elle m’invite à 1utter contre la barbe ! Et, enflant la voix et scandant chaque mot : Oui, contre la barbe masculine, cette malédiction de l’homme, selon le mot de lord Byron.
    — Mais, on n’en voit plus guère de cette malédiction…
    — Bien assez, en tout cas, pour engager contre elle un combat sans merci. Écoutez ce qu’en dit Mrs Hopkins : « L’humanité frémirait si elle savait combien la barbe masculine favorise les maladies contagieuses de toute espèce. La barbe n’est autre chose qu’un camp de concentration idéal pour les myriades des microbes. L’homme embrasse sa femme, ses enfants, son amie, sans se douter que sa tendresse les met en péril, eux, et par eux la société tout entière. Depuis quelque temps, la barbe commence heureusement à disparaître du monde civilisé, et cela grâce à la race anglo-saxonne, qui, dans ce domaine comme dans plusieurs autres branches de la civilisation, a frayé la voie à l’humanité vers un avenir plus heureux. À l’instar de l’Anglais ou de 1’Américain moderne, l’homme moderne des autres pays a cessé, lui aussi, de porter la barbe. Mais combien y a-t-il d’hommes modernes chez vous et chez nous ? À chaque changement de cabinet, je défaille presque en voyant que la plupart des ministres, bien que britanniques, sont barbus… Il y en a même qui portent cet affreux nid à poussière qu’on appelle la barbe entière. Que notre cri de guerre, ma chère amie et compagne d’armes, soit donc: « À bas la barbe, la grande comme la petite ! »
    — Alors, ce petit duvet que j’ai sous le nez ?.. demanda Hillar Kaselaid.
    — Tout, sans exception.
    — Tu n’as pas l’impression que cette Missis exagère un peu ?
    — Je vous prierai, Monsieur, de ne pas me tutoyer. Vous n’y avez aucun droit.
    — Mais nos relations…
    — Taisez-vous. Il ne s’est jamais rien passé entre nous, pas l’ombre de quoi que ce soit. Jurez qu’il n’y a jamais rien eu de tel entre nous, jamais.
    — Jamais, assurément. Qui ose le prétendre ? Je jure volontiers qu’il n’y a rien eu entre nous. Je ne suis venu que par politesse, à cause d’une connaissance passagère, pour faire mes adieux à Madame. Je pense émigrer sous peu.
    — Vous, émigrer ? Où donc ?
    — En Cochinchine.
    Mme Juta devint pensive. Dans son regard s’éteignit l’avidité avec laquelle elle venait de replier les lettres de Lady Aberdeen et Mrs Hopkins. Elle reconduisit le visiteur, et au moment où elle ouvrit la porte, un soupir involontaire s’échappa de sa poitrine :
    — Je viendrai chez toi ce soir…

*   *   *


    — J’ai trois sœurs et deux frères, tous mariés, racontait la cantatrice Virve Mätlik à son visiteur et ami Kaselaid, et deux ménages seulement sont contents de leur sort. Les autres se plaignent soit de satiété, soit de cette indifférence glaciale qui précède l’aversion. Je tiens cela pour humain, donc pour naturel. Le mariage n’est durable que s’il est heureux, et pour qu’il soit heureux, c’est dans l’état civil de la nature qu’il doit être enregistré. Mais tous les ménages ne parviennent pas à en trouver le chemin. Et la recherche est si compliquée, présente tant de risques, que pour ma part je n’ai jamais même essayé. Pourquoi jouer avec le malheur si on peut l’éviter ?
    — Alors, ennemie jurée du mariage ?
    — Qui plus est, mon ami, ennemie de toute union durable. Le seul homme avec qui j’aurais pu risquer un essai, c’était vous. Ce n’est pas si facile de vous refuser la confiance. Votre visage répond pour vous. Et je suis tombée amoureuse de vous. Quel dur combat j’ai eu à soutenir, et que de nuits sans sommeil avant d’emporter la victoire !
    — Et je vous en ai félicitée, Virve Mätlik, je vous en ai félicitée, de tout mon cœur saignant et déchiré…
    — Mais cette victoire, je l’ai payée cher : en m’éprenant de vous encore davantage. Vous rappelez-vous comment je l’ai payée ?
    — Par un cadeau royal, je me rappelle… Je suis rentré chez moi en pleurant de bonheur et de désespoir.
    — Qui êtes-vous ? On dit tant de mal de vous…
    — Et avec raison, Virve.
    — Et pourtant, vous n’êtes pas pire que ces hommes vertueux que l’on donne en exemple.
    — Je vous remercie.
    Le regard de l’amie se posa, interrogateur, sur le visage de Hillar Kaselaid, s’arrêtant aussi sur les yeux souffrants que les lunettes, qu’il venait d’ôter pour les nettoyer, ne protégeaient plus. Alors Mlle Mätlik, fâchée, s’écria, d’un ton plein de reproche :
    — Pourquoi vieillissez-vous, Hillar Kaselaid ? Pourquoi vos cheveux sont-ils devenus si rares et tout gris ? Vous n’avez pas honte d’abuser ainsi votre prochain ? On vous croyait toujours éternellement jeune, presque immortel. Moi-même j’étais persuadée que Kaselaid était immunisé contre toutes les toxines du temps ; on eût dit qu’il possédait contre eux des antidotes naturels. Et tout d’un coup, maintenant, voici un vieillard…
    Mais Virve Mätlik regrettait déjà ses paroles. Le visage, le cou, les mains de Hillar Kaselaid n’avaient plus couleur de chair, mais étaient devenus de cire. Cependant, toujours droit et calme sur sa chaise, il répondit :
    — Un souci me ronge.
    — Quel souci ?
    — Laissez-moi seul à le porter.
    — Égoïste.
    Les yeux largement ouverts de Virve devinrent de plus en plus gris et, tout à coup, se gonflèrent.
    — Voulez-vous, Virve Mätlik, faire plaisir à ce vieillard ? Mettez-vous au piano et chantez quelque chose.
    — Quoi, mon pauvre ami ?
    — Vous savez, je ne suis pas très musicien. Choisissez vous-même. Pourvu seulement qu’il y ait un pays avec beaucoup de fleurs, d’azur et de soleil…
    Et, tandis que Virve Mätlik chantait, Hillar Kaselaid se leva tout doucement et se dirigea vers la porte, se retournant de temps en temps pour contempler avec une ferveur profonde la femme qui avait eu le courage de le repousser, lui, Hillar Kaselaid. Et quand enfin, après un long morceau, plein de fleurs, d’azur et de soleil, Virve Mätlik s’arrêta, Hillar Kaselaid avait déjà quitté la maison.
    Trois semaines plus tard, il touchait à la fin de sa tournée, et sur la liste figurait maintenant le nom de la petite et brune Miriam Gold, dentiste de profession. II l’avait connue dans des circonstances assez particulières. Il s’était installé depuis peu dans une maison du centre de la ville quand, dans un appartement voisin du sien, vint habiter Mlle Gold avec sa vieille mère. Kaselaid s’éprit d’elle aussitôt, sans l’avoir vue, rien que pour sa voix. Quand Miriam Gold parlait, c’était comme le tintement argentin d’un carillon qui s’échappait de ses lèvres. La jeune fille, d’une voix claire et vive, donnait des ordres aux hommes qui portaient ses meubles, et Hillar Kaselaid, sorti sur le palier, immobile, tendait l’oreille comme à une musique rare. Il résolut sur-le-champ de faire le plus tôt possible la connaissance de cette personne qui gaspillait ainsi des perles mélodieuses devant ces ouvriers à la voix rude et rauque. Et à peine le cabinet dentaire ouvert, sous prétexte d’une dent à soigner, Kaselaid alla consulter Mlle Gold. Mais il fut déçu. La jeune juive était petite et chétive, et la seule beauté du visage ingrat était dans les yeux noirs pleins de feu qui l’illuminaient et dans la chevelure noire aux reflets bleuâtres qui soulignait la noble coupe de la tête.
    Hillar se souvenait encore du détail insignifiant qui l’avait arrêté dans leur rapprochement, bien qu’elle fût très sérieusement éprise de lui. Ils étaient assis dans un café. Le soleil jouait sur le marbre de leur table où reposait le bras nu de Miriam, dont les doigts caressaient des fleurs. Le regard de Hillar longea machinalement ce bras, il sentit au fond de lui comme une alerte, un avertissement. Ce bras, d’une blancheur ivoirine, ainsi abandonné sur la table, était couvert d’un réseau de poils longs et très fins qui, d’une façon indéfinissable, communiquaient à la personne tout entière un air souffreteux et maladif. Par la suite, Kaselaid regretta d’avoir écouté cette impression, comme d’un préjugé ou d’une exagération. Mais il était trop tard pour réparer, leurs routes s’étaient déjà séparées. Le fait que la voix de Miriam dans le chant était loin de valoir la voix de Miriam quand elle parlait — Kaselaid avait été frappé par la différence de timbre — n’avait pas eu pour lui l’importance décisive de cette fugitive impression visuelle.
    À l’arrivée de Kaselaid, qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps, Miriam tomba en extase. Elle resta quelques minutes sans pouvoir articuler un son, à le contempler. Puis, croisant les mains sous son menton, elle commença à danser avec grâce, et sa voix était tout un orchestre : flûte, clarinette, basson et tintement de clochettes argentines :
    — Hillar Kaselaid est venu ! Jéhovah, Dieu Tout-Puissant, prête-moi tes yeux pour le regarder, rends-moi digne de le revoir. Pour la joie et le bonheur, j’en ai plus que je n’en peux contenir. Hillar Kaselaid vient chez Miriam, la plus indigne de Tes filles, ô Seigneur des Armées. Héros de mes rêves, idéal de mes désirs secrets, souverain des cœurs, le plus puissant qui soit sous le soleil ! nordique, sois le bienvenu sous l’humble toit de Miriam, ton indigne servante !
    — Quel hymne, tout animé du souffle classique d’Israël ! plaisanta le visiteur. Et pour un ingrat encore…
    — Un ingrat ? Hillar Kaselaid ne me doit rien, c’est moi au contraire qui lui dois tout.
    — Comment cela, Miriam ?
    — Il m’a sortie du ghetto, il a eu le courage de paraître en public, au bal, au théâtre, au concert, dans la rue, avec une jeune fille juive. Et cela pendant plus d’une année.
    — Vous exagérez en parlant de ghetto, Miriam.
    — Non, nullement. Encore aujourd’hui, il n’y a que les Juifs riches qui soient arrivés à sortir du ghetto. Tous les autres y sont encore plus ou moins confinés, même dans les pays démocratiques. Pour vous, Monsieur Kaselaid, qui, comme j’ai pu le constater, êtes affranchi de tout antisémitisme, conscient ou inconscient, cela peut paraître surprenant. Mais il n’en va pas de même pour vos compatriotes, même pour la classe des intellectuels. Nous autres, habitants du ghetto, nous ressentons ce mépris instinctif par toutes les fibres de notre âme, et en souffrons plus cruellement que nous ne le laissons paraître et que ne le soupçonnent ceux qui nous l’infligent. C’est pourquoi vous êtes un héros, Hillar Kaselaid, et en votre honneur je voudrais chanter des hymnes perpétuellement, danser tous les jours la danse de Salomé, si seulement je savais !
    — La musique de votre voix, Miriam, suffit déjà à votre « héros ».
    — Depuis que je vous connais, je ne peux jamais m’empêcher de croire que toutes les femmes, sans exception, doivent être amoureuses de vous. Pourquoi, je n’en sais rien. Une vraie femme ne s’inquiète pas de le savoir. Le fait est que moi je suis tombée amoureuse de vous. Vous m’avez repoussée. Ce n’était pas la peine de demander pourquoi. Il n’y a que trop de raisons, je n’ai qu’à me regarder dans la glace. Et pourtant naquit dans mon cœur un espoir merveilleux, inébranlable : il reviendra ! Il ne méprisera pas, il ne repoussera pas la pauvre Miriam abandonnée qui veut l’attendre avec la même patience que Solveig. Et je gardais pour mon Per le trésor de ma virginité. J’ai refusé, sans explications, un prétendant sérieux. Et voilà, voilà, il est de retour ! Il est devant moi, et il daigne me regarder ! Règne sur moi mon Seigneur, ta fidèle servante t’appartient !
    Ses joues étaient enflammées, ses yeux étincelaient, les cheveux noirs jetaient des flammes bleues.
    Mais la réponse de son Per fut triste :
    — Miriam, renoncez à votre rêve. Je ne suis venu que pour vous dire adieu.
    — Adieu ? Que voulez-vous dire ?
    — Bientôt, je serai rayé du nombre des vivants.
    — Comment ?
    — N’ayez pas peur. Je ne songe pas à mourir. Mais je… je…
    Hillar Kaselaid n’acheva pas. Ses pupilles se dilataient. Le visage devenait de cendre. Les mains se tendaient en avant comme pour chercher un appui.
    — Miriam, je ne vous vois plus, ni les objets qui vous entourent, ni plus rien… Miriam, je suis aveugle. Reconduisez-moi chez moi.
    Miriam regarda ses yeux ; ils étaient éteints. Elle ne demanda rien. Ils restèrent longtemps silencieux, immobiles. Enfin, Kaselaid reprit :
    — Ramène-moi chez moi, Miriam.
    Mais Miriam répondit :
    — Pourquoi chez toi, mon Seigneur ? Là-bas, il n’y a personne pour te soigner. Celle qui seule peut prendre soin de toi est ici. Mon métier peut nous nourrir tous deux. Reste ici, mon Hillar, dans ta maison.
    Elle fit asseoir son Hillar aveugle dans un fauteuil, s’agenouilla devant lui, posa sa tête entre ses mains, comme pour la bénédiction, et continua :
    — Ici, tu vivras tranquille. Nous sommes seuls tous les deux, ma mère repose déjà dans la tombe. Tu resteras assis dans ce fauteuil, et je te dirai quand ce sera le printemps, l’été, quand le soleil se lève et quand il se couche… Et je te lirai les journaux, et des vers en estonien et dans les trois langues étrangères, avec cette voix qui mérita tes louanges. Et sans me lasser je te décrirai dans les moindres détails tous les êtres et tous les événements intéressants que tu ne verras pas. Reste ici Hillar, reste.
    Les yeux éteints de Hillar mouillèrent les cheveux de la suppliante :
    — Je reste, Miriam, ma dernière femme, je reste.

Traduit de l’estonien par Boris Vildé