(Article publié en 2004 dans : PAILHÈS Anne-Marie (dir.), Mémoires du Goulag : déportés politiques européens en URSS, Paris : Manuscrit Université, 2004, pp. 131-150.)
Le but de cet article est d’apporter un éclairage national sur la question de l’écriture du Goulag, en montrant quelle est la place et le traitement du thème concentrationnaire dans la littérature estonienne, et plus spécifiquement dans la littérature de fiction.
La littérature estonienne peut présenter dans ce domaine un certain intérêt, dans la mesure où elle se situe à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace soviétique. De 1944 à la fin des années 1980, elle fait indéniablement partie de cet espace par ses conditions sociales de production et de réception, mais elle lui est extérieure par la perception profonde qu’ont les auteurs et les lecteurs de leur spécificité historique et culturelle.
Le choix de limiter l’étude à la littérature de fiction a été motivé en premier lieu par le souci de disposer d’un corpus relativement restreint susceptible d’être embrassé dans sa totalité, mais aussi et surtout par la conviction que le traitement fictionnel d’une expérience traumatique présente des spécificités intéressantes par rapport à une autobiographie classique.
Cette étude a été orientée par deux séries de questions d’ordre général, auxquelles je n’ai évidemment pas l’ambition d’apporter des réponses détaillées.
Le premier ensemble de questions est d’ordre historique et psychologique. L’expérience estonienne du Goulag, telle qu’elle est reflétée par la littérature, présente-t-elle des spécificités par rapport à celle des prisonniers russes ? Constate-t-on, par exemple, des solidarités plus fortes liées à l’appartenance à une même communauté nationale (comme le signale notamment Applebaum 2003, pp. 273-279) ? Une plus grande liberté de parole due à la possibilité de parler une langue que personne d’autre ne comprend ? Une perception différente du camp, due par exemple à la conscience d’un déterminisme historique (l’annexion de l’Estonie par l’URSS) qui donnerait en quelque sorte un sens à l’internement au Goulag, internement qui, pour beaucoup de prisonniers russes, apparaissait comme quelque chose d’inexplicable ?
La deuxième question générale est d’ordre littéraire et psychologique. Comment une expérience comme celle du Goulag peut-elle s’exprimer sous la forme d’une fiction narrative, qui suppose une certaine part d’invention et d’altération des faits vécus (contrairement à un simple récit de souvenirs, censé relater les faits exactement tels qu’ils ont été vécus, ou du moins tels que le narrateur se les remémore au moment de la rédaction) ?
La question a un versant psychologique : comment peut-on décider de fictionnaliser une expérience personnelle que l’on suppose avoir été forte, pénible, voire traumatisante, et dont on peut penser qu’elle impose un devoir de mémoire et de vérité ? Comment accepter de la relater sous une forme travestie ou par le biais de personnages fictifs ? de ne pas livrer son témoignage de la façon la plus directe, la plus « authentique », la plus sincère possible ?
Le deuxième versant de la question est d’ordre littéraire : quelles transformations subit le matériau autobiographique à travers cette fictionalisation ? En quoi, finalement, réside le caractère littéraire et fictionnel de ces textes sur le Goulag ? Qu’est-ce qui les différencie d’autres textes fondés sur une expérience comparable, mais que l’on classera plutôt dans la catégorie des mémoires ou de l’autobiographie ? — même s’il est vrai que la frontière entre mémoires et fiction narrative est loin d’être totalement étanche : la fiction peut relater des faits authentiques avec une grande fidélité, et, à l’inverse, il y a nécessairement dans les mémoires en général, et dans les mémoires du Goulag en particulier, une part de fiction, ou plus exactement de fictionalisation (cf. notamment Toker 2000, pp. 124-134).
Avant d’examiner les œuvres, il importe de rappeler brièvement le contexte historique, et notamment les circonstances qui ont conduit de nombreux Estoniens dans les camps soviétiques.
I. Les Estoniens au Goulag
On peut distinguer quatre grandes vagues d’incarcération d’Estoniens au Goulag.
La première catégorie de prisonniers est constituée par les Estoniens de Russie qui, au début des années vingt, après l’indépendance de l’Estonie, avaient demandé à émigrer vers leur pays d’origine. En 1918, on comptait plus de 200 000 Estoniens en Russie. Entre 1920 et 1923, plus de la moitié d’entre eux (106 000) demandèrent à émigrer en Estonie, mais seuls 37 578 y furent autorisés par les autorités soviétiques. Une grande partie des autres furent arrêtés en 1929 et condamnés à des peines de trois à cinq ans de camp (Laar 2002).
La deuxième vague d’incarcérations coïncide avec les purges des années 1937 et 1938. À la fin des années trente, 143 000 Estoniens vivaient en URSS. Les membres de cette minorité nationale, qui avaient de la famille en Estonie et entretenaient donc des rapports avec l’étranger, étaient suspects aux yeux du régime soviétique, qui les considérait comme des « agents de diversion et d’espionnage au service de l’étranger ». Ils ont été particulièrement touchés par les purges. Au début de l’année 1939, les données officielles indiquent qu’il y avait dans les camps 2 360 prisonniers estoniens. Ce chiffre concerne uniquement les citoyens soviétiques, à quoi s’ajoutent 44 citoyens estoniens (Laar 2002).
En 1940 et 1941, pendant la première occupation soviétique de l’Estonie, plusieurs milliers d’Estoniens sont envoyés dans les camps. Certains ont fait l’objet d’arrestations individuelles, d’autres ont été déportés dans le cadre d’une vaste opération organisée en juin 1941 (dans la nuit du 14 au 15 juin et jusque dans l’après-midi du 16). Ces arrestations visent principalement des hommes politique, des militaires, des intellectuels, des fonctionnaires, des entrepreneurs, etc. Elles ont pour but de priver le pays de ses élites, afin de favoriser le processus de soviétisation. De juin 1940 à octobre 1941, on a dénombré en tout 7691 arrestations individuelles (Salo 1989, p. 211), à quoi s’ajoutent les quelque 10 000 déportés de juin 1941.
Les taux de survie au Goulag de ces prisonniers de 1940-41 sont très faibles. Calculés sur la base des listes partielles actuellement disponibles, le taux est de 7,6 % pour les arrêtés individuels et de 15,3 % pour les déportés de juin (Sarv 2002, p. 1970).
En 1944, l’Union soviétique occupe à nouveau l’Estonie, qui a connu entre temps trois années d’occupation allemande. Pendant l’hiver 1944-1945, une nouvelle vague d’arrestations frappe le pays. Elle concerne notamment les Estoniens ayant combattu dans l’armée allemande et les membres de mouvements de résistance nationale aux occupations étrangères (de nombreuses personnes furent arrêtées aussi bien par les Allemands que par les Soviétiques). Les prisonniers de cette quatrième vague sont considérablement plus nombreux. Selon certaines estimations, au moins 75 000 personnes furent arrêtées, soit 9 % de la population demeurée en Estonie après l’exode massif de l’automne 1944. 35 % à 38 % d’entre elles furent fusillées ou moururent dans les camps (Sarv 1991, p. 72). Entre 1944 et 1946, le nombre de prisonniers des camps originaires des pays baltes aurait augmenté de 420 % !
En mars 1949, une vague de déportations frappe la population rurale, dans le cadre de la « dékoulakisation ». Les familles (plus de 20 000 personnes au total, en majorité des femmes et des enfants) sont envoyées en relégation en Sibérie, mais les homme sont parfois séparés de leur famille et envoyés dans les camps.
Jusque dans les années cinquante, les arrestations d’opposants — réels ou supposés — se poursuivent. Elles concernent notamment les maquisards estoniens, les « frères de la forêt », qui tentaient de résister par les armes au nouveau pouvoir soviétique. Ils étaient généralement condamnés au titre de l’article 59 du Code pénal soviétique, pour « crimes particulièrement dangereux » pour l’URSS, notamment pour « banditisme », et non pour activités contre-révolutionnaires (Rossi 1997, p. 59). Ils n’étaient donc pas considérés comme des prisonniers politiques. À part eux, tous les autres prisonniers estoniens étaient des politiques, arrêtés en vertu de l’article 58.
Après la mort de Staline, principalement dans la deuxième moitié des années cinquante, la majorité des prisonniers estoniens sont progressivement libérés et autorisés à retourner dans leur pays, de même que ceux qui avaient été envoyés en relégation après leur libération. En 1960, il ne restait dans les camps qu’un peu plus de 2 000 prisonniers estoniens (Sarv 2002, p. 2114).
Au cours des périodes qui suivirent, surtout à partir des années soixante-dix et jusque dans les années quatre-vingt, des opposants politiques et des dissidents estoniens furent envoyés au Goulag, mais en nombre nettement inférieur. Le dernier prisonnier politique estonien, Enn Tarto, fut libéré seulement en octobre 1988.
Il convient encore de préciser que la grande majorité des prisonniers estoniens — ceux qui ont été arrêtés dans les années quarante — étaient bien des étrangers au Goulag, même s’ils étaient officiellement considérés, depuis 1940, comme des citoyens soviétiques : très peu d’entre eux parlaient russe, et ils n’avaient eu avant leur arrestation qu’une très brève expérience du régime soviétique, limitée à la première année d’occupation de l’Estonie (1940-1941).
II. Le Goulag dans la littérature estonienne : aperçu général
Parmi les prisonniers de ces différentes périodes figuraient un certain nombre d’écrivains, ou en tout cas de personnes qui avaient publié ou devaient plus tard publier des œuvres littéraires. Un rapide recensement, effectué sur la base de la dernière édition du Dictionnaire des écrivains estoniens (EKL), livre une trentaine de noms d’Estoniens emprisonnés au Goulag et ayant publié au moins une œuvre littéraire.
Une inspection superficielle de leurs œuvres montre que la majorité d’entre eux n’ont pas relaté par écrit leur expérience, alors même qu’ils auraient eu la possibilité de le faire, soit pendant la brève libéralisation des années soixante, soit à partir de la fin des années quatre-vingt, soit sous pseudonyme en faisant passer des manuscrits à l’étranger, soit encore « pour les tiroirs », sans perspective de publication immédiate. Sur cette trentaine d’écrivains, seuls neuf ont évoqué à des degrés divers le Goulag dans des textes littéraires (mémoires non inclus). Mais si l’on ne retient que les textes narratifs — qui me semblent être les seuls à pouvoir remplir avec une ampleur et un niveau de détail suffisants une fonction documentaire et testimoniale —, la liste se réduit à six auteurs.
L’un d’entre eux, Ahto Levi (né en 1931), n’a d’estonien que ses origines ; ses ouvrages ont été écrits en russe et publiés en Russie, où il habite. On ne peut donc pas véritablement les inclure dans le champ de la littérature estonienne.
Trois autres auteurs n’ont fait qu’effleurer le sujet dans quelques textes. Le plus étonnant est sans doute le cas de Jaan Kross (né en 1920), le plus grand romancier estonien contemporain. Alors même que toute son œuvre romanesque est une vaste entreprise de littérarisation de l’histoire de l’Estonie et des Estoniens du XVIe siècle à nos jours — littérarisation qui s’appuie très largement, pour les périodes récentes, sur des éléments autobiographiques —, il n’a pas consacré de roman au Goulag, mais s’est curieusement contenté de tourner autour du sujet sans l’aborder de front. Il a ainsi évoqué assez largement les occupations soviétique et allemande des années quarante, et l’un de ses romans, Exhumations (1990), est consacré aux problèmes du retour des anciens prisonniers, au milieu des années cinquante. Le Goulag y est présent en filigrane, à travers cinq brèves anecdotes relatées soit par le narrateur-personnage, ancien prisonnier, soit par des personnages secondaires, mais il n’est pas véritablement décrit. L’image qui se dégage de ces anecdotes est très fragmentaire et périphérique. Elle n’éclaire guère les aspects essentiels de la vie dans les camps. On trouve également dans un autre de ses romans (Le cercle de Messmer, 1995), dans quelques-unes de ses nouvelles (« Alléluia », « Le prince », « Motacilla »), ainsi que dans l’une de ses pièces de théâtre (Le frère Enrico et son évêque, 2000), de brèves scènes se déroulant au Goulag, mais, là aussi, le camp n’est décrit que de façon très sommaire ; dans deux de ces textes (« Alléluia » et « Motacilla »), il est seulement le lieu d’une remémoration du narrateur, un lieu dont l’évocation ne sert qu’à encadrer le récit d’événements antérieurs à l’arrivée au camp. Kross évoque le Goulag un peu plus longuement dans quelques chapitres de ses mémoires, Mes chers compagnons de voyage (2003), mais il ne s’agit pas d’une œuvre de fiction.
Il ne reste finalement que deux auteurs à avoir consacré au Goulag des œuvres ou des passages d’œuvres de fiction suffisamment amples et détaillés.
Ce silence ou ce demi-silence de la plupart des écrivains estoniens peut étonner au premier abord. Il constitue une illustration de ce « silence des survivants » analysé par Leona Toker. Outre le pacte tacite (ou parfois explicite) avec les autorités — le silence comme contrepartie de la libération et de la réhabilitation —, on peut y voir aussi une conséquence de la censure : même pendant la période du Dégel, la liberté d’expression sur les camps avait ses limites. On pouvait parler du Goulag, dans une certaine mesure, mais sans remettre en cause l’ordre soviétique, dont les camps restaient une composante essentielle. Il fallait donc introduire certaines restrictions dans son expression, ce qui était peut-être difficile à accepter pour certains écrivains. Il s’agit probablement aussi, pour d’autres auteurs, d’une volonté d’oublier des expériences trop pénibles ou trop humiliantes. Soljénitsyne souligne dans l’Archipel du Goulag que cette volonté d’oubli était une attitude particulièrement courante chez les anciens prisonniers : « Comme ils sont nombreux (et des gens qui sont loin d’être faibles, loin d’être sots, des gens dont on n’attendrait absolument pas cela), comme ils sont nombreux à s’efforcer d’oublier ! » (Soljénitsyne 1976, p. 370). Le critique estonien Rein Veidemann y voit par exemple la raison principale du silence de Jaan Kross et de son retard à écrire ses mémoires (Veidemann 2002, p. 382). Enfin, j’ajouterai une dernière explication, plausible dans le cas des écrivains : le sentiment qu’une telle expérience est irracontable, ou en tout cas impossible à transmettre sous la forme d’une fiction, qu’un matériau autobiographique de cette nature ne se prête pas à une littérarisation.
Il est frappant en effet de constater qu’il existe en estonien de très nombreux ouvrages de souvenirs sur les camps, publiés à partir du début des années quatre-vingt-dix (avec ce retard de trente ans signalé par Leona Toker), mais fort peu d’œuvres littéraires. La littérature estonienne du Goulag, au sens étroit du mot littérature (fiction et poésie), constitue un corpus assez limité, constitué en tout et pour tout de trois romans, quelques chapitres de deux autres romans, un recueil de nouvelles, quelques nouvelles isolées, une pièce de théâtre et un ou deux recueils de poèmes.
Les trois romans entièrement consacrés au Goulag sont l’œuvre de Hilja Rüütli (née en 1921), une infirmière qui a passé dix ans à Vorkuta. Il s’agit de romans documentaires, écrits avec le concours d’un autre ancien prisonnier, Helmut Tarand, et envoyés clandestinement à l’étranger, en Suède, où ils ont été publiés à partir de 1979 sous le pseudonyme de Aili Helm par une maison d’édition de l’émigration estonienne. Ces ouvrages décrivent la vie des prisonnières dans les camps de femmes de Vorkuta et sont fortement antisoviétiques. Il n’ont eu qu’une diffusion clandestine et très limitée en Estonie, où ils n’ont d’ailleurs toujours pas été réédités, contrairement à d’autres œuvres littéraires publiées à l’Ouest. Ils appartiennent donc à un espace littéraire un peu marginal, à une zone périphérique de la littérature estonienne.
L’auteur qui a fourni du Goulag le traitement littéraire le plus intéressant, le plus varié, et qui a rencontré le plus d’écho en Estonie, est incontestablement Raimond Kaugver (1926-1992), qui a été dans les années 1970 et 1980 l’un des romanciers estoniens les plus populaires dans son pays.
III. Le Goulag dans l’œuvre de Raimond Kaugver
Raimond Kaugver a passé cinq ans à Vorkuta (1945-1950), pour s’être enrôlé en 1943 dans l’armée finlandaise et avoir participé à la « guerre de Continuation » de la Finlande contre l’Union soviétique. En 1943, les autorités d’occupation allemandes en Estonie décident d’enrôler de force les jeunes Estoniens. Un grand nombre d’entre eux se réfugient alors en Finlande et s’engagent dans l’armée finlandaise, afin de combattre l’URSS sans pour autant servir dans l’armée allemande. Certains d’entre eux reviendront en Estonie en 1944, après le départ des Allemands, et auront évidemment des problèmes avec le nouveau régime.
À Vorkuta, Kaugver a la chance, si l’on peut dire, d’être victime d’un accident dans la mine. Envoyé à l’hôpital, il gagne la sympathie du médecin du camp, qui le recrute comme infirmier. Après avoir suivi une formation adéquate, il devient aide-médecin. Ce poste lui permet d’échapper au travail à la mine et aux baraques surpeuplées, puisqu’il bénéficie d’une petite chambre individuelle à l’hôpital et d’un certain nombre d’autres facilités. Son sort a donc été nettement plus enviable que celui d’un prisonnier moyen.
Si on laisse de côté une pièce de théâtre (Les enfants de Saturne) représentée en 1989, mais qui, semble-t-il, n’a jamais été publiée, Kaugver a abordé le thème du Goulag dans trois de ses ouvrages : deux romans et un recueil de nouvelles, dont les dates de composition et de publication sont assez révélatrices.
Ses premiers textes sont ses nouvelles, écrites pour la plupart à Vorkuta même et envoyées au fur et à mesure à sa famille, avec l’aide de travailleurs libres qui pouvaient poster des lettres en ville. Ces 23 nouvelles n’ont été publiées qu’en 1989, après le rétablissement de la liberté d’expression en Estonie, sous la forme d’un recueil intitulé Lettres du camp. Dans son avant-propos, l’auteur assure qu’il n’a pas changé une ligne à ces textes écrits par le jeune homme qu’il était alors.
Au milieu des années soixante, en 1965, vers la fin du Dégel, alors qu’il a déjà publié plusieurs ouvrages aux thématiques assez conformes aux attentes du pouvoir soviétique (la vie des travailleurs d’une compagnie de trams et d’une mine de schistes bitumineux), Kaugver écrit un roman dans lequel il évoque de façon assez détaillée (sur huit chapitres) le séjour à Vorkuta de son personnage principal, dont le destin présente des similitudes avec le sien (comme lui, le personnage est envoyé au Goulag à cause de son engagement dans l’armée finlandaise, puis devient aide-médecin à l’hôpital du camp). Une première version du manuscrit, intitulée Au service d’un sabre étranger, avait été primée en 1959 lors d’un concours de roman (Gross 1992, Kallas 1993). Après avoir subi d’importantes modifications (Gross 1992, p. 251), l’ouvrage est enfin publié en 1966 sous le titre Quarante bougies. Il y aurait eu, après la parution, des tentatives — heureusement infructueuses — pour le faire interdire « par l’intermédiaire de Moscou » (Kallas 1993, p. 6).
Encouragé par le succès de ce livre, Kaugver poursuit l’exploration du thème concentrationnaire dans un nouveau roman qu’il écrit en 1967, Réhabilitation posthume, mais qui ne paraîtra qu’en 1990. Le moteur dramatique du récit est un échange d’identité entre deux prisonniers : dans le train qui le conduit vers le camp, le personnage principal prend le nom d’un mourant condamné à une peine inférieure à la sienne. Les deux chapitres suivants décrivent sa vie au camp, où il finit lui aussi par obtenir un poste à l’hôpital.
On voit qu’un seul de ces ouvrages a pu paraître avant la libération de la fin des années quatre-vingt. Les autres ont attendu leur heure dans les tiroirs de l’auteur.
Il est frappant de constater que ce roman, Quarante bougies, est le seul témoignage littéraire estonien sur le Goulag publié en Estonie à l’époque soviétique. Une journée d’Ivan Dénissovitch avait pu paraître en Russie dès 1962, et presque aussitôt (1963) en traduction estonienne . On sait que de nombreux autres auteurs russes ont publié des romans sur les camps dans les années soixante (cf. notamment les exemples cités et étudiés par Heller 1974). Mais en Estonie, rien de tel : aucune autre œuvre originale ni aucune autre traduction ne sont venues s’ajouter aux livres de Kaugver et de Soljénitsyne. On peut se demander si cela n’indique pas, paradoxalement, l’existence à cette époque d’une censure plus stricte en Estonie qu’en Russie, en tout cas sur la question du Goulag. « Paradoxalement », car les Estoniens ont coutume d’affirmer au contraire que la censure était moins sourcilleuse chez eux qu’en Russie.
Il serait intéressant de comparer le manuscrit initial de Kaugver, primé au concours de romans, avec la version publiée. On peut néanmoins se contenter du livre publié pour essayer de comprendre comment l’auteur a pu faire franchir à son texte le barrage de la censure, au prix de quelles concessions ou de quels renoncements. Dans les années quatre-vingt-dix, quelques critiques estoniens ont estimé que ce roman ne disait pas toute la vérité sur les camps. Teet Kallas estime ainsi que Kaugver « évite certaines vérités » (Kallas 1993, p. 6). Ain Kaalep considère qu’il ne livre que des « quarts de vérité » (Kaalep 1994, p. 85). Malheureusement, aucun de ces deux auteurs ne précise en quoi consistent, selon eux, ces arrangements avec la vérité.
L’une des clés essentielles qui a permis à Quarante bougies d’être avalisé par la censure est probablement la personnalité du protagoniste, qui est également le narrateur et le focalisateur du récit. Ce personnage, qui, le soir de son quarantième anniversaire, se remémore année après année sa vie passée, a été conçu par l’auteur comme un anti-héros, comme le constate déjà un critique de l’époque (Tonts 1967, p. 782). C’est un être faible, sans conviction, incapable de choisir et, de ce fait, sans prise sur son destin, éternel jouet des circonstances. L’auteur laisse cependant entendre que son personnage est coupable de lâcheté et a en quelque sorte mérité son sort. Il n’a d’ailleurs pas de révolte contre son destin ni contre le pouvoir soviétique qui l’a envoyé au camp, il se montre simplement cynique et désabusé. Mais il manifeste encore une aspiration à s’intégrer au système. Ainsi, discutant avec un codétenu communiste, il admire la force de ses convictions et se demande s’il pourrait encore devenir lui aussi un bon communiste. Après sa libération, il tente de s’adapter le mieux possible à la société soviétique et, faute de convictions politiques, devient, non pas un bon communiste, mais un carriériste égoïste, dépourvu d’idéaux et de principes moraux.
Sur la jacquette du livre, un texte de présentation écrit par l’auteur tente d’orienter la lecture vers une condamnation morale du personnage, en fustigeant les êtres « craintifs et indécis », qui acceptent, « par peur ou pour préserver leur bien-être », de commettre des actes répréhensibles (le protagoniste commet par exemple le crime le plus indigne contre la loi non écrite du camp en volant le pain d’un autre détenu, un compatriote de surcroît). La négativité du camp est donc en quelque sorte relativisée par la négativité du héros : c’est celle-ci, et non celle-là, qui est explicitement placée au centre du message moral du livre. Toutefois, pour un lecteur attentif, ce paratexte de l’auteur est en fait ambigu, il peut s’appliquer aussi bien au personnage principal qu’à ceux qui ont participé et continuent de participer au système de répression soviétique. Il y a donc là une possibilité de lecture à deux niveaux. On trouve dans le roman aussi un certain nombre de passages se prêtant à une double lecture. Le meilleur exemple est probablement la scène de l’interrogatoire : juste après son arrestation, le personnage principal est interrogé par un enquêteur du NKVD, un Estonien lui aussi, qui se trouve être l’un de ses anciens camarades de classe. Cet enquêteur — qui est un héros positif, un bon communiste — informe le protagoniste qu’on l’accuse d’avoir trahi sa patrie. Toute l’ambiguïté réside ici dans le sens qu’on donne au mot patrie. Dans le sens légal, officiel, qui est assumé par l’enquêteur, la « patrie » est évidemment l’Union soviétique. L’accusation est alors fondée : en combattant dans l’armée finlandaise contre l’armée soviétique, le personnage a évidemment trahi sa « patrie ». Mais il me semble clair que, pour la plupart des lecteurs, le mot patrie, surtout utilisé en 1945, ne pouvait désigner que l’Estonie. Dès lors, l’accusation devient absurde et toute la scène peut être lue entre les lignes comme une dénonciation de l’annexion de l’Estonie par l’URSS.
Au-delà de ces passages ambigus, la possibilité d’une double lecture vaut en fait pour l’ensemble des chapitres sur le Goulag. En effet, même si le point de vue est celui d’un personnage négatif, le camp est tout de même décrit, et avec une précision suffisante pour compenser l’absence de condamnation explicite du système concentrationnaire. Les notations factuelles montrent clairement la violence inhérente à la vie dans les camps et la déshumanisation qu’elle provoque : violence des truands contre les autres prisonniers, violence et arbitraire des gardiens, violence du travail à la mine, violence du froid et de la faim sur des organismes fatigués. Tout cela est présent dans ce livre, et explique sans doute à la fois son succès public et les tentatives pour le faire interdire après sa parution. Il ne me semble donc pas exact de dire que l’auteur ne livre qu’une vérité partielle ou incomplète : la vérité sur les camps est bien là, toute entière, comparable à celle qui se déploie par exemple dans les textes de Chalamov (cf. Chalamov 2003), mais un peu moins virulente, et revêtue d’un enrobage littéraire moralisant destiné à détourner l’attention des censeurs.
Les chapitres sur le Goulag dans Réhabilitation posthume ne vont pas plus loin dans la dénonciation du système concentrationnaire. Dans ce roman aussi, le héros a des traits négatifs et apparaît dans une certaine mesure comme un coupable, mais sa faute principale n’est pas certaine : il ne se souvient pas clairement s’il a ou non hâté la mort du camarade malade qui lui proposait d’échanger leurs identités, en poussant un tas de vêtements sur sa bouche. Il souffre par la suite de cette possible culpabilité et de son identité usurpée. Là aussi, donc, une certaine négativité morale du héros compense et rend plus acceptable pour la censure la relation de son expérience du camp. Si le livre n’a pas pu paraître, c’est sans doute parce que les temps avaient déjà changé : à la fin des années soixante, la relative liberté d’expression du Dégel s’était considérablement réduite, et la littérature du Goulag, même « enrobée », n’était plus tolérée.
L’image des camps donnée par les nouvelles de Kaugver est assez différente de celle qu’on trouve dans ses romans.
En premier lieu, alors que les romans semblent centrés sur l’expérience personnelle de l’auteur, les nouvelles racontent en majorité des histoires qui sont arrivées à d’autres : le narrateur principal (clairement identifié à l’auteur par l’avant-propos) n’y est bien souvent que le narrataire d’un récit second, qu’il nous rapporte en se contentant de l’introduire ou de le conclure, ou en le ponctuant par quelques observations personnelles. Mais ces personnages, comme nous le rappelle l’avant-propos, sont tous réels, ils apparaissent sous leurs vrais noms, et les événements relatés ont réellement eu lieu. Cet effet de vérité créé par le paratexte oriente la lecture et donne au texte une dimension documentaire qui lui confère une force de conviction bien supérieure à celle des romans. Le paratexte instaure un « pacte factographique » (Toker 2000) qui interfère avec le pacte fictionnel.
En second lieu, le narrateur et les protagonistes ne sont pas présentés comme des anti-héros moralement condamnables. Rien ne vient donc relativiser ou atténuer le tableau factuel du Goulag qui se dégage de leur expérience.
Une troisième différence — qui peut sembler exercer un effet inverse à celui des deux premières — réside dans le fait que ces nouvelles écrites sur place sont beaucoup moins pathétiques, plus retenues que les romans ; les descriptions y sont plus sèches et objectives, on y trouve très peu de jugements de valeur du narrateur, et surtout peu de descriptions directes de la cruauté ou de la violence. Si la violence n’est pas totalement absente, elle est euphémisée, mise à distance par deux procédés narratifs. Le premier est lié à la dissociation du narrateur et du protagoniste : l’expérience de la violence qui nous est relatée n’est pas vécue par le narrateur, mais médiatisée et objectivée par son regard extérieur ; la description en reste donc très factuelle et phénoménologique ; elle laisse totalement de côté la souffrance provoquée par cette violence. Le second procédé de mise à distance consiste en ceci que cette phénoménologie de la violence s’attache en fait surtout à décrire les résultats de la violence, et non les modalités concrètes selon lesquelles elle s’exerce. Un exemple en est fourni par la nouvelle intitulée « Le pou », où le meurtre d’un prisonnier par ses compagnons de cachot n’est évoqué qu’à travers la description sèche et précise, presque médicale, du cadavre pendu de la victime, et notamment de son cou, où l’on voit encore des traces de doigts, seul signe indiquant qu’il s’agit d’un meurtre et non d’un suicide.
Cette plus grande retenue des textes écrits sur place indique peut-être une différence entre la perception qu’on peut avoir du camp de l’intérieur et celle qu’on en a depuis une certaine distance spatiale et temporelle, comme si le camp était psychologiquement moins inacceptable, paraissait en quelque sorte plus « normal » aux yeux de quelqu’un qui s’y trouve que dans les souvenirs de qui en est sorti et a repris une vie ordinaire.
Les romans et les nouvelles de Kaugver ne fournissent que fort peu d’indices d’une spécificité estonienne. On y trouve certes quelques allusions à la nationalité du protagoniste ou du narrateur, à ses compatriotes, et au fait que cette nationalité crée quelques différences par rapport aux autres prisonniers. La principale de ces différences réside dans les rapports mutuels entre Estoniens : l’idée d’une solidarité nationale est illustrée par deux ou trois exemples concrets. Ainsi, dans Réhabilitation posthume, le personnage principal, devenu intendant de l’hôpital, use de son influence pour faire recruter un compatriote comme infirmier. Mais cette solidarité est fortement relativisée par plusieurs contre-exemples : dans le même roman, ce compatriote infirmier vole du pain à l’hôpital, puis tente d’empêcher la libération du protagoniste par une dénonciation calomnieuse. Dans Quarante bougies, comme on l’a vu, le héros vole du pain à un autre Estonien.
Il semble donc que, pour Kaugver, la nationalité n’était pas un élément particulièrement important de l’expérience concentrationnaire. Ses personnages estoniens ne manifestent en tout cas aucune tendance à un repli communautaire ni aucune conscience d’une quelconque singularité.
Ces ouvrages de Raimond Kaugver permettent d’entrevoir quelques éléments de réponse à la question de l’utilité et de la possibilité d’une écriture fictionnelle du Goulag.
Tout d’abord, les circonstances de la publication du roman Quarante bougies et l’obstruction faite aux deux autres livres montrent clairement que les autorités n’étaient pas prêtes à tout entendre ou à tout laisser dire sur le Goulag. La littérarisation de cette expérience pouvait donc être nécessaire pour aborder le sujet. Dans les années 60 en Estonie soviétique, il n’était apparemment pas possible d’écrire ses souvenirs du Goulag en les présentant comme tels, sous le signe de l’autobiographie. Le déguisement de la fiction était probablement le seul moyen acceptable par la censure (et encore, de façon exceptionnelle, pendant une brève période de relative liberté) de livrer une telle expérience. Cela semble d’ailleurs avoir été le cas dans l’ensemble de l’URSS (Toker 2000, p. 123).
Les œuvres de Kaugver présentent deux exemples des possibilités offertes par la fiction littéraire pour rendre compte de l’expérience concentrationnaire d’une façon différente des ouvrages de mémoires.
Les chapitres sur le Goulag dans ses romans illustrent un premier mode de représentation, qu’on pourrait appeler la concentration : un schéma narratif très similaire dans les deux ouvrages, qui va du transport en train jusqu’à la libération, permet de concentrer en quelques chapitres les aspects essentiels de la vie au camp, afin de donner de celle-ci une image aussi dense et représentative que possible. Tous les détails et les épisodes rapportés sont « authentiques » par leur factualité (des choses identiques ou similaires ont réellement existé dans les camps), mais ils ne sont pas référentiels (ils ne font pas explicitement référence à des personnes ou à des événements précis), et leur organisation en un récit d’ensemble n’est pas non plus « authentique ». La concentration est une caractéristique de la macrostructure de l’œuvre ; elle est produite, au niveau de la microstructure, par une association des deux procédés que Leona Toker (2000) appelle la sélection et la mise en scène (staging) : l’auteur sélectionne dans la réalité des éléments marquants ou représentatifs, qu’il complète et réorganise — « met en scène » — par un travail d’imagination.
C’est la concentration et la non-référentialité qui définissent principalement la littérarité des romans de Kaugver.
Ses nouvelles offrent un exemple d’un autre mode de représentation : la fragmentation, qui consiste à fournir une image éclatée en unités autonomes présentant des aspects ou des points de vue différents. On peut distinguer dans ce recueil trois types ou trois niveaux de fragmentation.
Le premier est la fragmentation générique en plusieurs textes relatant chacun une histoire et indépendants les uns des autres, alors que les mémoires ont généralement une forme continue, structurée par l’axe chronologique ou parfois par quelque autre principe d’organisation. En second lieu, ces nouvelles, bien qu’elles aient le même narrateur, sont presque toutes centrées sur des personnages différents, elles explorent la diversité des destins à l’intérieur du camp. Certes, ce type de fragmentation n’est pas un procédé exclusif de la fiction : certains auteurs de mémoires évoquent aussi très largement d’autres destins que le leur, mais ils demeurent la seule instance narrative : ce qu’ils racontent des histoires des autres, c’est ce qu’ils en ont appris ou ce qu’ils en supposent d’après les apparences. La fiction permet d’aller plus loin — c’est le troisième niveau de fragmentation — en multipliant les points de vue, en présentant de l’intérieur les pensées et les sentiments des différents personnages, leur vision (supposée) de la réalité. Kaugver, il est vrai, n’a pas exploité à fond cette possibilité. On en trouve néanmoins un certain nombre de traces dans ses récits, où la focalisation interne (point de vue du narrateur-personnage) cède occasionnellement la place à la focalisation zéro (narrateur omniscient).
Cette triple fragmentation permet d’enrichir le tableau de la réalité concentrationnaire en reflétant la diversité des aspects et des expériences, et en lui conférant par là même une portée plus universelle.
Contrairement aux romans, les nouvelles de Kaugver se présentent — on l’a vu — comme des textes référentiels. Tout y est vrai « à cent pour cent », nous dit l’auteur. En réalité cela n’est probablement exact qu’au niveau de la trame macro-événementielle, car dans le détail, l’auteur s’autorise manifestement des reconstitutions libres : même en supposant que les nouvelles aient été écrites peu de temps après les faits, les parole et les actes qu’il prête à ses personnages ne reproduisent sans doute pas au mot et au geste près ce qui a été dit ou fait dans la réalité, mais sont plus vraisemblablement reconstitués en partie par l’imagination de l’auteur. C’est le cas, par exemple, de notations telles que « une lueur d’espoir brilla dans ses yeux » (p. 35) ou « les narines de Lena s’élargirent » (p. 73). Les auteurs de mémoires, me semble-t-il, ne vont généralement pas jusqu’à un tel degré de détail dans leur descriptions. Kaugver, lui, augmente la « résolution » de son image ; il introduit ces notations pour rendre son récit plus vivant et renforcer l’illusion réaliste.
Une autre propriété qui contribue à la littérarité des textes de Kaugver, en plus de la fragmentation et de la finesse de résolution, est le recours à une construction narrative rigoureuse et très étudiée, qui introduit le récit central par quelques paragraphes exposant le contexte, ménage savamment le suspens par des effets d’annonce ou de rétention d’information, et réserve pour la fin une chute ou une phrase conclusive qui referme le texte.
Du point de vue psychologique, ce travail de littérarisation, d’altération, est probablement facilité par la distance de ces récits par rapport au vécu personnel de l’auteur, par le fait qu’il raconte non pas sa propre histoire, mais celle des autres.
Que retenir, au terme de ce bref aperçu de l’œuvre de Raimond Kaugver? Si je ne devais souligner qu’un seul aspect, ce serait probablement le fait qu’aucune véritable spécificité estonienne ne puisse être décelée dans ces textes. Cela apparaît d’autant plus surprenant que la littérature estonienne de cette époque — comme souvent les littératures des petites communautés — est fortement intraréférentielle et centrée sur l’espace national : l’Estonie, l’histoire estonienne, la culture estonienne, l’identité estonienne y occupent une place essentielle, même si c’est parfois de façon implicite. Or, nous avons vu que l’origine nationale ne jouait aucun rôle particulier pour les personnages de Kaugver, qui, avant d’être des Estoniens, sont simplement des êtres humains aux prises avec une situation particulière. La taille restreinte du corpus ne permet évidemment pas d’en tirer des conclusions générales, mais cette particularité des œuvres de Kaugver pourrait conduire à formuler l’hypothèse que le Goulag tend à effacer les déterminations sociales et ethniques. Le Goulag d’un Estonien serait, pour l’essentiel, le même que celui d’un Russe ou d’un Français ou d’un Américain. Les modulations individuelles dues à la nationalité seraient négligeables face à l’ampleur de l’épreuve commune, qui relèverait fondamentalement de la même expérience humaine.
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