Peeter Veiss, fonctionnaire de l’Union européenne, était convoqué à une rencontre avec une délégation extérieure.
Comme ce ressortissant de la petite Estonie n’était qu’un agent subalterne d’une obscure commission, cette convocation avait été une surprise aussi bien pour lui que pour ceux qui le connaissaient.
Ce fut seulement plus tard qu’il entrevit le lien infime qui avait peut-être été à l’origine de sa désignation pour participer à cette entrevue avec des gens si importants et si particuliers : il était en effet astronome de formation. Il avait travaillé dans ce domaine pendant plusieurs années, puis avait fini par se lasser d’observer les étoiles, car il n’avait pas suffisamment d’imagination pour espérer que des changements pourraient se produire dans l’univers stellaire pendant qu’il l’observait.
Quels changements son esprit impatient attendait-il ? Le savait-il seulement ? De temps à autre des supernovae explosaient ; des pulsars scintillaient dans la région de la Voie Lactée ; des quasars rayonnaient autour des trous noirs ; jusque dans l’espace proche circulaient toutes sortes de blocs de matière ; des météorites tombaient sur la Terre ; et des extra-terrestres sur leurs soucoupes volantes venaient attaquer les terriens stupides. De ce dernier point, évidemment, les astronomes ne parlaient pas en public, mais certains d’entre eux y croyaient peut-être en secret.
Peeter Veiss estimait toutefois qu’il ne se passait rien de suffisamment intéressant pour lui dans l’espace. La vie était courte ; il valait mieux s’activer sur la terre parmi les hommes et se dire que là était concentré tout ce que l’on qualifiait habituellement d’éternel.
Après ses années passées à l’observatoire, il avait tâté de la politique parce que c’était à mode à l’époque : tout le monde se hissait sur les tribunes, prononçait des discours et chantait. Mais il n’avait pas connu de réussite particulière dans ce domaine : il ne s’était jamais agité au premier rang ; il n’était fait que pour servir de commis et exécuter des travaux ennuyeux à la place des autres.
Son passage dans la politique lui avait tout de même été utile en lui permettant d’obtenir un poste à Bruxelles. Peu lui importait d’avoir atterri dans le tiroir où étaient rangés les boulons les plus minuscules.
Et voici que soudain — ô surprise ! — on le conviait à cette réunion avec des gens étranges qui ne dissimulaient pas leur conviction d’être infiniment plus importants que l’Union européenne et sa ruche bourdonnante.
L’initiative de la rencontre venait de cette haute délégation, et Peeter Veiss crut au début que son rôle consisterait à porter la mallette noire d’un président de commission ou d’un influent parlementaire. Mais on ne lui avait même pas confié cette responsabilité. Les mains profondément enfoncées dans ses poches, la tête vide de pensées, sans le moindre dossier sous le bras, il entra dans la salle de réunion, dont la décoration touchait aux limites du bon goût.
Face aux neuf représentants de l’Union européenne étaient assis trois messieurs aux tempes argentées et une femme extraordinairement belle qui devait avoir entre trente et trente-cinq ans. Sa beauté n’était ni criarde ni retenue, ni classique ni saturée de particularités locales, il n’émanait d’elle ni tentation charnelle ni dédain souverain. Elle considérait à tour de rôle les sept membres masculins de la délégation européenne, leur jetant des regards intenses qui semblaient vouloir pénétrer jusqu’aux couches profondes de leur cerveau. Comment et jusqu’où ces regards s’introduisaient, cela dépendait de celui qui les recevait. Elle n’accordait pas la moindre attention aux deux négociatrices européennes, comme si elles n’existaient pas, alors même que c’était précisément devant elles que se dressait la plus haute pile de papiers et qu’étaient posés les ordinateurs dernier cri. On pouvait en déduire que l’étrangère faisait clairement la différence entre les sexes.
Peeter Veiss recevait également sa part des regards de la belle. Il lui semblait qu’elle ne faisait pas de distinction entre les agents importants et les subalternes. Peut-être ne savait-elle pas encore quelle était la position de chacun sur l’échelle hiérarchique. Et Peeter Veiss n’était pas assez bête pour aller expliquer aux étrangers que, parmi les fonctionnaires présents, c’était lui qui se trouvait sur le barreau le plus bas.
Puisqu’on lui avait fait confiance en l’invitant à cette réunion, il voulait apparaître comme l’égal des autres, du moins aux yeux de ces étrangers. Il n’aurait pas accepté une attitude supérieure de la part de ses collègues. Sinon, ce n’était pas la peine de le convoquer ! Ce n’était tout de même pas lui qui s’était imposé !
Les trois visiteurs masculins se ressemblaient beaucoup. Il était difficile de savoir lequel d’entre eux était le plus important. Peut-être que là-bas, dans leur monde, on ne classait pas les gens comme supérieurs ou inférieurs, importants ou insignifiants. Cela aurait expliqué l’effet égalisateur des regards de la femme.
L’un des trois étrangers prit la parole :
« Nous vous avons invité à cette rencontre. »
Personne ne répondit rien : c’était la pure vérité.
« Nous représentons l’espace », ajouta l’autre d’un ton digne.
Cette nouvelle fit presque l’effet d’une bombe. L’espace ! C’était quelque chose de bien plus grand que l’Union européenne. D’où peut-être l’attitude supérieure des étrangers.
Peeter Veiss se demanda s’ils étaient eux-mêmes originaires de l’espace, pour pouvoir le représenter. Ils parlaient en tout cas couramment le français. L’un d’eux avait certes un petit accent, mais nettement moins prononcé que celui de Peeter Veiss.
Si une civilisation extra-terrestre avait atteint un degré de développement suffisant pour visiter la Terre, apprendre le français ne devait être pour ses représentants qu’un jeu d’enfant.
« Qui vous a mandatés ? » osa demander un fonctionnaire européen de haut rang, bureaucrate particulièrement respectable entre tous les bureaucrates.
« Nous nous sommes réunis pour représenter l’espace. Les problèmes sont nombreux et il ne fait aucun doute que l’espace a besoin de représentants », affirma le troisième homme d’un ton assuré.
Comme les visiteurs étaient très semblables et échangeaient de temps en temps leurs places, il était impossible de déterminer qui était le premier ou le troisième. Ces nombres ne font référence ici qu’à l’ordre de leurs interventions, et d’ailleurs nous pouvons fort bien nous en passer dans la suite de ce récit : peu importe qui parle.
Pendant ce temps, la belle femme continuait à darder son regard sur les Européens. C’était là sans doute sa mission : elle n’avait pas besoin de dépenser son énergie à parler.
Il était donc possible que ces quatre personnages fussent des terriens tout à fait ordinaires. Juste une bande qui s’était réunie — une association, ou un groupe de pression citoyen, comme on disait — et avait décidé qu’à partir de ce jour elle représentait l’espace, quel que soit le nombre de galaxies que celui-ci contenait.
Mais il n’aurait pas été convenable de s’enquérir de l’histoire de cette association, à fortiori pour un fonctionnaire aussi insignifiant que Peeter Veiss.
« Et en quoi l’Union européenne peut-elle aider l’espace ? » demanda l’un des eurocrates avec une pointe d’ironie.
Les trois messieurs échangèrent un regard. L’un d’eux répondit, sans ignorer l’ironie du fonctionnaire :
« Les relations entre l’espace et l’Union européenne ne sont pas réglementées. »
À ce moment, certains eurocrates se demandèrent probablement qui, de l’Union européenne et de l’espace, était le plus important, et qui devrait prendre l’initiative pour établir le cadre législatif réglementant les relations mutuelles. C’est du moins ce que soupçonna Peeter Veiss en observant ses collègues et en lisant l’hésitation sur leur visage.
À sa propre surprise, malgré l’insignifiance de sa position hiérarchique, il déclara :
« Je pense que l’Union européenne a déjà une relation bien établie avec l’espace. »
N’était-il pas astronome ? Pourquoi n’aurait-il pu intervenir sur un tel sujet ?
Après ces paroles, la représentante de l’espace le gratifia d’un regard pénétrant.
Les deux femmes de la délégation européenne le considérèrent d’un air approbateur et il lui sembla qu’elles poussaient un soupir de soulagement.
« Et par quels actes législatifs est-elle définie ? » demanda maintenant le camp adverse.
Peeter Veiss avait imaginé qu’à l’ère des voyages dans l’espace, l’Union européenne pourrait se doter d’une direction générale des affaires spatiales, dans laquelle, en tant qu’astronome, il aurait des perspectives de carrière intéressantes. Une telle direction aurait également pour mission de présenter au parlement des projets législatifs.
En effet, l’exploration spatiale — même s’il ne s’agissait pour l’heure que du voisinage immédiat, sans que l’on ait encore pu sortir du système de notre minuscule Soleil — était toujours en grande partie aux mains des Américains et des Russes. L’Union européenne, selon Peeter Veiss, jouait davantage un rôle d’observatrice, même si elle ne restait pas totalement les bras croisés. On fabriquait en effet, ici aussi, des éléments pour des vaisseaux spatiaux et certains pays envoyaient leurs propres satellites en orbite. Mais on n’attachait pas à tout cela une bien grande importance : les débats qui agitaient les couloirs de l’Union concernaient plutôt la législation et les normes communes.
Les membres d’un groupe de pression citoyen avaient donc tout à fait le droit de vouloir discuter de ce sujet, même s’ils ne parlaient pas de l’exploration spatiale, mais plutôt de la réglementation des relations.
La discussion porta ensuite sur les phénomènes relevant du domaine spatial pour lesquels une réglementation était possible et nécessaire de la part d’une organisation forte et fondée sur de grands principes, telle que l’Union européenne.
Il était agréable de voir que le sujet était pris très au sérieux par les deux parties, notamment par cette femme qui, au lieu de parler, lançait ses regards ardents. Peeter Veiss avait l’impression qu’elle prenait sa mission à cœur et que c’était elle qui se donnait le plus de peine.
L’un des représentants européens — celui-là même qui avait posé la question ironique au début de l’entretien — esquissait de temps à autre un sourire amusé. Quand l’un des participants d’une discussion se permet ce genre de sourire, c’est qu’il se croit supérieur aux autres. Peut-être l’objectif de ce fonctionnaire était-il justement d’avoir l’air plus intelligent que les autres. Ce qui ne signifiait évidemment pas qu’il l’était réellement plus que, par exemple, un Estonien versé dans l’astronomie.
La discussion fit émerger quelques pistes pour l’avenir, quelques moyens par lesquels la sainte Loi pourrait exercer une influence bénéfique sur la vie quotidienne. Par exemple l’interdiction de mettre en orbite un nouvel objet, que ce soit un vaisseau de plaisance ou un satellite espion, sans que le projet ait reçu l’aval des représentants de l’espace, c’est-à-dire de cette association ou ce groupe de pression (le statut de cette organisation n’était pas encore très clair, peut-être était-elle les deux à la fois).
Il est vrai que, jusqu’alors, l’Union européenne n’avait pas mis en orbite pour son propre compte un nombre très important de satellites. Mais Peeter Veiss supposait que les représentants de l’espace avaient déjà eu des discussions comparables avec les Américains et les Russes. Et il était convaincu, pour quelque raison, que lors de ces entretiens le groupe avait avec lui une autre femme, car une telle distribution de regards aurait dépassé les capacités d’une seule personne. En tout cas, Peeter Veiss n’imaginait pas que la dame assise en face de lui ait pu envoyer à la Russie les mêmes regards cosmiques qu’à l’Union européenne.
Plusieurs projets furent envisagés. Par exemple un règlement imposant que tous les satellites soient équipés de radars afin d’éviter que les objets circulant dans l’environnement immédiat de la Terre, déjà surpeuplé, ne se percutent pas les uns les autres, mais respectent avec courtoisie des règles de priorité avant de poursuivre leur route sur la même orbite.
Ou encore un règlement en vertu duquel tous les satellites à usage spécifique, de même que les engins spatiaux faisant route vers des destinations plus lointaines, devraient émettre à intervalles déterminés, sur une fréquence propre, des signaux qui puissent être captés non seulement par les agences spatiales, mais aussi, par exemple, par les membres du groupe de pression, dont les appareils de mesure étaient moins sophistiqués. Cela pour leur permettre d’avoir une vision claire de ce que faisaient dans l’espace tous ces objets qu’on y envoyait depuis la Terre.
Et ainsi de suite.
Peeter Veiss prenait plaisir à écouter des gens sérieux, aussi bien du côté des représentants de l’espace que de celui de l’Union européenne.
Ce fut bientôt l’heure de la pause café, partie essentielle de toute réunion digne de ce nom : même les négociateurs les plus avisés et les plus importants prennent alors un biscuit dans le plat et le grignotent d’un air pensif, comme si leur précieux cerveau réfléchissait en permanence à ce qu’ils pourraient énoncer de pertinent et d’essentiel dans la partie suivante de la discussion.
Pendant la pause, Peeter Veiss, bien qu’il ne fût qu’un fonctionnaire sans importance, manœuvra pour se placer à côté de la belle représentante du cosmos et lui chuchota :
« Je suis astronome de formation. »
« C’est bien ce que je pensais », répondit-elle.
Sur la base des quelques phrases que Peeter Veiss avait réussi à prononcer, cette femme clairvoyante avait donc abouti à la conclusion qu’il était un spécialiste du domaine.
Lorsqu’elle eut avalé son biscuit et bu une gorgée de café, elle ajouta :
« Dans ce cas, vous devriez rejoindre notre association. »
Si quelqu’un comme lui pouvait en être membre, il s’agissait donc bien d’une organisation terrienne.
Mais pouvait-il être à la fois un fonctionnaire européen confortablement payé et un représentant de l’espace peut-être pas du tout rémunéré et qui n’était pas davantage protégé des rayons cosmiques que toutes les autres créatures terrestres ?
Après tout, pourquoi pas ? S’il s’agissait d’une organisation sociale ou même d’un club d’amateurs dont la principale ambition était de donner une impression de sérieux. On pouvait bien, par exemple, être maire d’une ville et en même temps appartenir à un cercle de philatélistes ou à une association canine.
Après avoir eu cette pensée, Peeter Veiss jugea aussitôt que la comparaison n’était pas correcte. Représenter l’espace est tout de même beaucoup plus important que d’examiner de vieux timbres à la loupe ou de visiter une exposition canine en tenant son compagnon à quatre pattes au bout d’une laisse.
Oui, beaucoup plus important ! Surtout si Peeter Veiss appartenait lui aussi au groupe des représentants de l’espace.
Il répondit à la femme, par pure espièglerie :
« Si vous me donniez un baiser, je pourrais y réfléchir. »
Quelle audace pour un Estonien ! Son tempérament s’échauffait ! Ses passions débordaient !
Et voilà que, pendant cette pause café, alors qu’ils se tenaient debout à côté de la table, la séductrice spatiale prit Peeter Veiss par les oreilles et imprima sur ses lèvres recourbées un baiser digne de ce nom.
Oh ! Que devaient penser ses collègues plus haut placés ? Étaient-ils jaloux ? Les regards décochés par la belle les avaient certainement transpercés eux aussi, modifiant le fonctionnement de quelques organes internes. C’était d’autant plus probable qu’il y avait parmi eux des représentants de peuples au sang nettement plus chaud que les Estoniens, plus précisément deux Italiens et un Espagnol.
Ce genre de jalousie est généralement dissimulé sous des airs de supériorité. Cela ne troubla pas pour autant notre vaillant séducteur. Ils n’avaient qu’à l’imiter, s’il en avaient l’énergie !
Les trois messieurs de l’espace, quant à eux, ne semblèrent même pas avoir remarqué cette marque d’intimité, comme s’il était parfaitement naturel que leur charmante collègue embrasse un négociateur de l’autre bord en le saisissant par les deux oreilles.
Seules les deux femmes de la délégation européenne s’émurent de façon visible de cet événement, au point que Peeter Veiss se demanda avec une certaine crainte si elles ne voulaient pas, elles aussi, suivre l’exemple de la dame de l’espace, et si ses oreilles résisteraient à un tel déferlement de passions. Mais par bonheur elles se retinrent, et il ne put savoir si leur émotion était causée par le fait que ce bel Estonien leur plaisait et les attirait plus encore après ce baiser spatial, ou plutôt par des considérations rationnelles : le sentiment que, si la partie adverse essayait d’attirer leur collègue de son côté, leur devoir à elles était de le retenir et de l’immobiliser par leurs baisers. Elles ne songeaient visiblement pas qu’elles étaient loin d’être aussi belles que la représentante de l’espace, mais pensaient au contraire que tous les baisers se valaient.
Peeter Veiss, s’il ne se sentait pas particulièrement gêné devant ses collègues, avait un peu l’impression d’avoir été acheté par la partie adverse. Comme si ce baiser avait décidé qu’il devrait à l’avenir appartenir à la compagnie des représentants de l’espace, et que, si celle-ci voulait poursuivre plus tard les négociations avec l’Union européenne, il devrait s’asseoir de l’autre côté de la table, bien qu’il doive son salaire à la grâce et au bon plaisir de ce côté-ci.
Mais s’il était assis à côté de la dame de l’espace, il ne recevrait plus d’elle le moindre regard, comme ces trois hommes aux tempes argentées. Il avait en effet clairement remarqué l’indifférence de la belle à leur égard. S’il pouvait s’asseoir suffisamment près d’elle, il pourrait tout de même sentir son agréable parfum. Comme il l’avait senti pendant qu’ils chuchotaient et lorsqu’elle lui avait saisi les oreilles.
Ainsi, quoi qu’en pensent les autres, rien n’était encore décidé pour Peeter Veiss.
La discussion se poursuivit, et, à son grand dépit, il remarqua que la belle ne lui accordait plus désormais que de très rares coups d’œil, à supposer même qu’elle le regardât, comme si elle considérait qu’elle en avait maintenant fini avec lui. En revanche, elle continuait à darder ses regards sur les autres fonctionnaires européens.
Peeter Veiss était un Estonien pourvu de capacités philosophiques. Il se demanda s’il avait vraiment besoin de ces regards ardents et pénétrants, et s’interrogea de façon générale sur ce dont les hommes avaient besoin de la part des femmes, quand il ne s’agissait pas de leur épouse qui leur préparait de temps en temps de la soupe et leur disait quelle chemise enfiler le matin.
Dieu merci, Peeter Veiss avait déjà été marié deux fois et pouvait affirmer, sur la base de son expérience, qu’une femme trop belle était davantage vouée à être un objet de contemplation pour les amis qu’à servir à quelque chose dans la vie domestique.
Mais il n’y avait rien à faire : en voyant une femme aussi belle que celle-ci le sang s’échauffait. Surtout celui d’un Finno-Ougrien impulsif.
Voilà ce à quoi réfléchissait Peeter Veiss, maintenant qu’il se retrouvait privé des regards de la belle déléguée spatiale et alors qu’il n’aurait pas été convenable d’aller immédiatement s’asseoir de l’autre côté de la table, sous les yeux de ceux qui étaient encore ses supérieurs dans tous les sens du terme.
Mais la chaleur du baiser se faisait toujours sentir sur ses lèvres, et ses oreilles étaient encore toutes brûlantes d’avoir été saisies par les mains de la belle. Avait-il vraiment besoin, en plus de cela, de regards ardents ?
Dans la suite de la discussion, on envisagea la mise en place d’un groupe de travail commun composé de fonctionnaires européens et de représentants de l’espace, un groupe qui serait chargé d’élaborer les projets législatifs visant à réguler les relations entre l’espace et l’Union européenne.
Un représentant haut placé de l’Union européenne annonça alors d’une voix claire, sans qu’on lui ait rien demandé, que Peeter Veiss pourrait faire partie du groupe de travail. Cela montrait à l’évidence que les bureaucrates bruxellois n’accordaient à ce futur groupe de travail qu’une importance minime, puisqu’ils désiraient y envoyer le moins gradé d’entre eux. Mais le camp adverse n’en avait pas nécessairement conscience.
Peut-être ce représentant tenait-il compte du fait que Peeter Veiss avait déjà établi, pendant la pause café, des relations de travail avec une représentante de l’autre bord.
Il semblait peu probable que les hommes aux tempes argentées n’aient pas remarqué ce qui s’était passé pendant la pause. Ils pourraient donc décider, dans leur propre intérêt, de nommer dans le groupe de travail la belle dame aux regards pénétrants. Car pour leurs négociations ultérieures avec les Américains ou les Russes, ils utiliseraient vraisemblablement les services d’une autre jolie femme. Pour une mission aussi noble que la défense de l’espace, ils devaient avoir l’embarras du choix.
Toujours est-il que le cœur de Peeter Veiss, ou ce qu’il avait à cet endroit, se mit à battre la chamade, et il se demanda si sa vie de célibataire n’allait pas une fois de plus se retrouver en danger.
Mais y avait-il quelque chose de plus agréable dans la vie que ce genre de dangers ?
Tant que l’espoir subsiste, il convient de mettre rapidement un terme à cette histoire.
Que toutes les rose s’épanouissent et que scintillent dans le ciel les merveilleuses aurores boréales.
Traduit de l’estonien par Antoine Chalvin