— Je suis un messager! répéta-t-il fièrement, et il était difficile de ne pas le croire.
— Quel message apportes-tu, étranger? demandèrent les sentinelles. Le cavalier, qui se remettait lentement de sa chevauchée, se rengorgea et déclara, rempli d’orgueil :
— Je dois proclamer mon message devant la ville entière. Laissez-moi passer!
Les gardes hésitèrent, mais après s’être rapidement consultés, ils le laissèrent entrer.
L’orgueilleux cavalier partit au grand galop dans les rues étroites. À ceux qui se trouvaient sur sa route, il criait :
— Écartez-vous, je suis le messager!
Il mena son fringant coursier jusqu’à la place du marché, encombrée par des charrettes campagnardes et des échoppes d’artisans. Sa monture se faufilait comme en dansant dans les couloirs les plus exigus. La foule, échauffée par le négoce, et les bœufs qui attendaient avec indifférence s’écartaient sur son passage. Arrogant, il sautait par-dessus les tas de navets, frôlait les carcasses sanglantes des cochons, contournait les piles de poteries, et ses vociférations couvraient le brouhaha et les injures :
— Oyez, oyez, je suis le messager!
Bouche bée, la populace le regardait avec une curiosité un peu niaise. Le vacarme diminua et quelques citoyens se préparèrent à écouter le message. Mais le cavalier ne restait pas en place un seul instant. Son cheval fou décrivait des cercles. L’orateur tournait donc parfois le dos à l’assistance, qui n’entendit son discours que par bribes :
— Nuit et jour j’ai chevauché vers vous ! J’ai été dépouillé dans les auberges au bord des routes, des bandits errants m’ont laissé sans vie sur le chemin, la mort et le démon ont suivi chacun de mes pas. Mais ma vigilance est restée en éveil. Malgré tout, je suis arrivé et je vous apporte mon message. Alors arrêtez-vous, interrompez votre commerce et écoutez-moi, car je suis votre messager!
Le cheval, saisi par le tournis, avait entraîné son cavalier dans le labyrinthe des charrettes et des éventaires. Ils disparurent, avalés par les rues étroites.
Le vaillant messager arriva sur le parvis de l’église. L’office du matin venait de se terminer et la place était noire de monde. Il se fraya à grand-peine un passage au milieu de la foule et annonça :
— Écoutez-moi, vous tous qui êtes là : je suis votre messager. Je vous arrive de pays lointains, j’ai vaincu des monstres et des dragons, j’ai porté mon message avec rage et constance, et aujourd’hui je suis parmi vous, c’est pourquoi vous devez m’écouter!
Des badauds s’arrêtèrent au milieu de la bousculade. On fit cercle autour du cheval plein de morgue.
— Mon message est immuable comme la position des étoiles. Il est aussi vaste que la nature. Il est la force et l’éloge de la grandeur! Je dépose à vos pieds mon esprit, afin que vous puissiez vérifier mes dires : je suis votre messager et c’est le ciel qui m’a désigné!
Le cavalier pathétique leva la main. Son cheval ombrageux s’effraya et piqua des quatre fers. Les gens eurent à peine le temps de s’écarter pour lui céder le passage.
Fébrilement, il poursuivit son chemin. Il arriva bientôt devant l’hôtel de ville.
— Prenez garde, vous tous, puissants ou faibles, car je suis votre messager!
Lorsqu’il eut clamé cela à plusieurs reprises, la foule se regroupa autour de lui, et les membres du conseil apparurent dans l’encadrement des hautes fenêtres.
— J’ai été appelé pour vous apporter un message! Les puissances de la terre et les voix du ciel m’ont choisi. Il en a été décidé en haut lieu. Aussi, écoutez-moi, accordez-moi votre attention : je suis votre messager! Le ciel aura beau s’écrouler et la terre exhaler des vapeurs de soufre, je vous apporterai encore et toujours mon message, car tel est mon destin ! Où que je sois, frais et dispos ou luttant contre le sommeil, je serai fidèle jusqu’au bout à ma mission ! Car ce message vous est destiné et je sais que vous en ferez bon usage!
Le cheval au cou gracieux et le cavalier magnifique se figèrent soudain en une noble pause.
Un membre du conseil apparut à la porte de l’hôtel de ville.
— Livre ton message ! ordonna-t-il.
Le cheval, troublé, recommença à s’agiter. Le cavalier leva le bras et déclama :
— En vérité je vous le dis, et je prends le ciel à témoin: ce que j’ai à vous annoncer est de la plus haute importance. Alors écoutez-moi bien, accordez-moi toute votre attention : j’apporte à votre ville un message qui subsistera jusqu’à la fin des temps!
Le cheval affété commençait à en avoir assez de l’hôtel de ville et prit à nouveau son élan. Le messager, qui paraissait lui aussi très satisfait de son rôle, ne fit rien pour retenir sa monture.
Et la nouvelle se répandit dans la ville. Le messager la proclama sur chaque place, dans chacune des larges rues. Toute la population sut bientôt que cet homme était le messager.
Le soir venu, après avoir attaché son cheval harassé dans une cour marchande, il entra dans une taverne et commanda de la bière pour se remettre de sa dure journée. De temps en temps, il se dressait, debout sur le banc, et criait :
— Que les chants cessent, que les chopes s’immobilisent! Je suis le messager! Je vous l’annonce aujourd’hui à tous!
Puis il se rasseyait sur le banc poisseux et se remettait à boire. Lorsqu’il fut bien imbibé et que sa belle fougue eut disparu, il déclara d’un ton sentencieux à ses voisins de beuverie :
— Si vous devez un jour porter un message, souvenez-vous que l’essentiel est d’avoir l’esprit vigilant et le coeur sûr. N’oubliez pas que les villes et les peuples ont un urgent besoin de votre message et que vous devez vous montrer à la hauteur de la tâche. Portez un message qui soit vrai et faites-le avec ferveur, vous goûterez alors le bonheur suprême de servir la puissance!
Et ainsi, la taverne aussi apprit que la ville possédait bel et bien un messager.
Traduit de l’estonien par Antoine Chalvin