CHANTER LE SOIR
Debout dans le soir où tu attends la fille que tu aimes
que tu cajolerais que tu caresserais que tu chérirais
et qui malgré cela ne vient pas
debout ainsi au sein dun soir triste tu
te retrouves soudain à une table maculée de café au milieu
des visages enfumés, tu offres à tes lèvres
un verre ambré de cognac, tu regardes droit dans les yeux
la fille assise en face et tu découvres subitement tant
damour même dans la teinte des cils de cette fille-là,
tu recueilles dans tes yeux et même dans ton cur
la teinte de ses cils, le rouge de ses lèvres, tu es heureux
tout à coup davoir été avalé par le soir où nest pas
venue celle que tu attendais, tu tends les mains à la fille
en face en signe de grand amour et de
fidélité éternelle qui peuvent bien sûr être passagers vénaux
et même balayés mais néanmoins tu tenfonces jusquaux oreilles
dans ton verre de cognac en embrassant le bout des orteils
de cette nouvelle fille qui emportée par la passion te chuchote
quil ny a pas de soir où ne vient pas celui que tu attends
Traduit de lestonien par Vahur Linnuste
UNE FOIS ENCORE DUNE BALLE DARGENT PERÇÉ
frappé dune balle dargent étincelante je tombe
sur lherbe verte du soir je magite dans ma
peau de loup je sens mon mal de loup dans ma
poitrine je vois ma mort de loup devant les yeux mais
résonnent encore les forêts au loin contre
lazur qui se glace contre lair vibrant
dun soir dété mais déjà courent près de
moi les chasseurs les fusils à la main les visages
bouffis de lourds rires les yeux brillant
dune joie perverse ils me demandent comment
je me sens je souris car ce nest tout de même pas
pour moi quils sont venus mais déjà ils me dépouillent
de ma peau de loup trouvent lhomme à lintérieur
de lanimal et se mettent à pleurer cest plus
quun jeu ils sen vont avec la peau de loup car
cest pour cela quon les paie mais moi
ils mabandonnent sur lherbe sur la route
sur la rosée car cest bien ainsi quun loup
devient homme à moins que ce ne soit le contraire
Traduit de lestonien par Vahur Linnuste
AADALPÄRT CHANTE LE LILAS MALADE
AADALPÄRT SE DIT EN TRITURANT SES MAGNIFIQUES MOUSTACHES
NOIRES APRÈS AVOIR RACCROCHÉ LE RÉCEPTEUR
je connais un lilas aux fleurs violettes un grand lilas
parfumé je pense quil est le lilas le plus beau
de ma vie et pourtant il me disait hier quelque chose
de bizarre sur quoi jai réfléchi toute la nuit et sur
quoi je dois il me semble réfléchir plusieurs nuits encore
ET AADALPÄRT CONTINUA EN SOURIANT CURIEUSEMENT
mon lilas me disait que quelque chose de très bizarre
lui était arrivé à savoir quil ne peut plus fleurir
le soir lorsque le soleil disparaît lentement au-delà
de la mer comme une boule de feu rouge et
le ciel est si passionnément rose rouge bleu
et mon lilas ny peut rien cest une maladie
inexplicable sans doute inguérissable
qui ne laisse pas de telles soirées passionnées
et rouges fleurir nest-ce pas curieux
AADALPÄRT SOURIT TOUT TRISTE
les soirs pareils mon lilas aux fleurs
violettes doit il ny peut rien extirper
ses racines fermer sa corolle comme on ferme
un parapluie et alors tout simplement il doit sortir pour
se promener dans les rues de cette soirée passionnée
et rouge en avançant timidement en se cachant en se tenant
derrière les clôtures il ne veut pas être aperçu
cela peut paraître bizarre et il me dit
encore quil ne veut pas se promener pour lui seul
AJOUTA AADALPÄRT
il me demanda de laccompagner il dit quil voulait
que quelquun soit à côté de lui je le comprends très
bien mon pauvre lilas et pourtant je ne sais pas
quoi lui répondre il paraît que je dois encore
y réfléchir plusieurs nuits
AYANT DIT CELA AADALPÄRT REMIT SA QUEUE DERRIÈRE SON OREILLE
ET PASSA
DANS UNE AUTRE PIÈCE
Traduit de lestonien par Vahur Linnuste
EN SAUTANT POURTANT DU MANÈGE
en sautant pourtant du manège qui tourne
dans le rêve blanc du tourbillon de neige en couvrant
pourtant des mains mes yeux déjà gelés
et ma bouche encore ardente en massoupissant ainsi
dans le sifflement du tourbillon mendormant jusquà
devenir lilas buisson fleuri émergeant de son rêve
enneigé étalant son feuillage vert dans
le vent printanier
exhalant ainsi par ces fleurs
la douleur blanche et frémissante de sa poitrine endolorie de lilas
fleurissant pourtant ainsi à travers mes yeux
de lilas palpitants jusquà mourir jusquà ce que
les rêves de lilas fatigués sévanouissent tout de même les fleurs
se détachent les feuilles tombent en chuchotant
est-ce vraiment déjà lautomne et la lumière bleuâtre
du lilas se transforme en une pluie torrentielle et bruissante mais
il est toujours si bon de se trouver dans leau grondante du lilas
de couler librement au moins un moment en tant queau
jusquà ce que tout sensevelisse enfin dans
le tourbillon de neige glacial ce manège exposé
au froid tourne pourtant toujours et tous ces
chevaux et toutes ces charrettes fatiguées et enduites de couleur
continuent de tourner vers la neige tourbillonnante
et les tristes cygnes de bois fixés aux fils
gémissants du manège ont toujours tellement froid
Traduit de lestonien par Vahur Linnuste