Traduit de l’estonien par Antoine Chalvin
LA VOIX
Ma voix sèchera-t-elle
comme sèche la paille
sur les lattes du fenil ?
Ma voix sèchera-t-elle
comme sèchent les nuages
sur la plaine rougie ?
Comment devrait sécher ma voix
pour que je puisse la voir
sans me rencontrer ?
LE SQUARE
La corbeille de la vendeuse de violettes.
L’éclat des murs blanchis à la chaux.
Le roucoulement des pigeons
qui se ramifie en bourdonnant
depuis les meurtrières inutiles.
Des branches délavées
entraînées par les ossements
vers le bas des rues passantes.
Les drapeaux du vent d’Ouest.
Les drapeaux du vent d’Est.
Le tintement de l’argent moisi.
LE LIVRE
J’éteins les visages.
Ils dorment dans mon cœur.
Herbe jaunie
qui ne se souvient plus du ciel.
Les ombres des paysages battent la campagne.
Légères et froides.
Vous restez à distance.
Rarement
une fleur connaît sa couleur.
Et je la chasse.
DISSONANCE
Les baisers
couverts d’herbe se sont fanés
sous une lune d’aluminium.
L’odeur du vent coupé
aiguise la flèche des cils.
Mes narines
fendent l’air moisi,
car je m’aime.
LE JEU
Dans le foin rouge se décolorent
les visages laissés
sur les berges d’avril.
Chaque jour
un souvenir isolé
bourdonne dans les dunes.
Il plante
dans ta vie
une étoile pendante.
Jeu, prends pitié !
LES SECRETS
Comme ils se cachent, les secrets !
sous les feuilles des cils, au fond des yeux du roi,
qui ne sont que des marronniers,
au fond des yeux de ceux
qui sous la pluie ont gravé leur visage
dans le sable d’une avenue,
avant la guerre et tout ce qui doit advenir.
C’est ainsi que je suis partie.
Un souvenir luit sur mon front
l’obscurité sous mes paupières
brouille les villes et les années.
Qui étais-tu ?
As-tu ou non les yeux dorés ?
Sur le sable d’une avenue
nous avons laissé en passant nos visages,
mais le dernier train est parti.
Comme l’amour se cache
sous le feuillage des cils
quand je parle des marronniers !
La maison est humide au printemps,
les pas du vent ne cessent pas.
Il y a toujours des fleurs séchées dans la cheminée,
comme si j’habitais encore là.
Et peut-être, en effet, suis-je encore là en train d’attendre,
un journal à la main,
qui sait ?
LE CAFÉ
Les jardins répandent une odeur de cheveux roux.
La verdure, contre toute attente,
monte
et descend l’escalier défraîchi.
Dans la pièce du haut
elle rencontre six
des douze mois de l’année.
Celui qui est vêtu de jaune
vend du papier,
celui dont les vêtements sont blancs
dessine la face de Dieu ;
et d’une voix verte,
le cinquième prophétise :
imagine :
l’herbe qui souffre sourira
sur le mur du portail ;
les voyages s’en iront dans la brume
ainsi
s’usera
ton
nom
NAISSANCE
mon visage est devenu un écran vide
une ville pleine de masques errants
y vibre
je m’achète un cœur
je jette au fond de ma poitrine
une pierre humide et sombre
entre mes dents étincelle un rire
dans le squelette des branches
s’agitent les collines
bêtes aveugles
des paysages de sang
des plateaux dénudés
se forment à partir de mes veines
l’âme est aux aguets
je ne lui ouvre pas
sa traîtrise
rencontrerait la mort.
ESPACE
Où es-tu,
demande ma voix
à une année torturée.
Où es-tu,
tes yeux ne savent-ils pas
que le temps est venu
d’entrer dans le feu ?
Où es-tu ?
Tels des métaux froids
nos visages sont incandescents.
L’ENFANT
Année après année
la brillance des pluies d’été
goutte entre les feuilles.
Les chemins ont partout
la même dureté.
Quand tu fermes les yeux,
tu n’as jamais été au monde.
Vivre ou ne pas vivre,
quelle importance
quand les arbres sont en feuilles
et que sur la terre passent
les ombres du ciel