Poèmes

Traduits de l’estonien par Antoine Chalvin

LES CHOSES SIMPLES

Je me suis avancée auprès des choses simples,
je me suis appuyée sur le simple et le bon…
La lumière infinie des étoiles lointaines
m’a recouvert de sa quiétude.
La mer mugit et les flammes dévorent
une souche cornue de genièvre.
Toute la nuit, entendre en moi, en chaque chose
le voyage incessant des vagues !
Couchée dans l’herbe humide de rosée, sentir
la terre tendre et vivante.
Écouter un ami, une chanson d’enfance,
familière comme les cloches des troupeaux.
Admirer la beauté du poirier
que mon père avait planté
dans le jardin sauvage d’une maison délaissée…
Tout près de moi, seule comme une larme d’émotion,
une fleur tardive, inconnue,
oscille et tombe dans le vent.
Avec plaisir, à l’automne,
j’entends le chuchotis des champs, triste et mûr…
Ne rien dire, penser que mon aimé demeure aimé,
souvent si faible face à la tentation.
Penser que mon frère a les cheveux gris,
qu’il a besoin encore d’une sœur.
Savoir que le soir a ses bonheurs,
simples comme l’eau dans la bassine
où notre mère, avant de te mettre au lit,
lavait les éraflures de tes jambes…

Je me suis avancée auprès des choses simples,
je me suis appuyée sur le simple et le bon.
Lorsque le poids des pensées étouffantes
tombait sur moi comme du plomb.
J’ai marché en m’appuyant à l’esprit clair de mon amour
comme à une rampe,
en écoutant la naissance silencieuse du printemps
à l’amère époque des doutes.
En écoutant la naissance silencieuse du printemps,
en nourrissant les mésanges à la fenêtre,
en voyageant dans les pages des livres,
patiente, songeuse et muette.
En traçant à nouveau mes frontières,
mes parois, mes plafonds.
En sachant que l’on ne peut fuir
cette vie compliquée, difficile et précieuse.

Les choses simples m’ont donné la force
de demander, d’exiger, de parler,
de répondre à l’appel inquiet des journées,
qui m’ordonnait de pouvoir, de savoir !
Je sais que ma poitrine n’est pas faite
pour rugir avec la puissance des tempêtes.
Et pourtant j’aime la tempête, et je méprise
l’écume rejetée sur la grève.
Et pourtant j’aime le gravier des chemins,
même s’il couvre mes pieds d’ampoules.
J’aime les chants qui montent et qui résonnent
à tous les coins du monde.

1957


 
 
Je dors dans la tempête qui est ailleurs
je dors dans l’orage qui est loin
je dors dans l’hiver qui est là
sur tous mes murs et mes livres
et me regarde
depuis le papier blanc sur ma table
message de l’hiver
d’un blanc éblouissant

1975


À la lumière du vent
je dois marcher
en entrant dans la nuit d’automne.
Un champ rugissant m’attire à l’intérieur de lui,
rempli de bruits, d’obscurité,
de feuilles qui s’envolent, de visages et d’yeux
clairsemés et fragiles comme des flocons,
tranchants comme des couteaux, et qui peu à peu s’assombrissent.
Je marche à la lumière du vent
sur la terre qui retient mes pas
avec son lourd fardeau d’amour.
Je respire le sel âcre de la vieille mer,
jamais ne cessera mon désir de lui.
De mes lèvres gonflées je jure d’être fidèle.
À la lumière du vent, toi, mon amour et ma honte,
tu vis encore, enfonçant des épines dans ma chair.
J’entends le torrent furieux de mon sang.
Je marche à la lumière du vent
sous une étoile qui longtemps
a oublié ses fiers rayons dans un nuage.
Son éclat ne me lâche pas.
Les grands cygnes s’envolent.
Et jamais ne me laisse seule
le vent, éternel voyageur.
Je marche à sa lumière.

1976