Traduit de l’estonien par Jean-Luc Moreau
O to be in Finland
now that Russia’s here
E. E. Cummings
À Martti et Liisa
1
Un toit rouge
un enclos de cerfeuil sauvage en fleurs
la page blanche
2
Les pins qui rêvent
les lilas entêtants
des pommes de pin sur la pierre
3
À force de silence
entendre circuler ton propre sang
un taon t’effraie
4
Comme il fait soleil
le moustique et moi
nous nous figeons de bonheur
5
Un volume de haï-ku
je ne l’ai pas feuilleté
une rose s’est ouverte
6
Oh l’odeur du café
la paix de l’après-midi
une mouche sur ma tasse
7
Les roses de la Saint-Jean
doucement opinent dans la pluie
entre nous la fenêtre
8
Je chauffe l’étuve
nu mais les bûches chantent
une chemise de feu sur le dos
9
Le duvet des nuages
dans le ciel se disperse
je m’endors sans crainte
10
Qui sait combien de myrtilles
le froid a laissé mûrir
dans chaque forêt
11
Des portes sans serrures
sur l’essentielle simplicité
la grange de guingois
12
Brièveté de l’été
le bousier frotte ses pattes
les visiteurs s’en vont
13
La machine à écrire
mais je vois l’écriture de la pluie
le recueil délaissé
14
Plus de soucis
l’eau monte dans notre puits
seul le coucou s’est tu
15
Fraîcheur du lac
table propre de samedi soir
ce thé brûlant
16
Entre les assauts de l’orage
tous les bruits se taisent
ma montre bien sûr fait tic-tac
17
Verse encore de la bière
dans l’ombre des cannes à pêche
un sandre a bougé
18
Cet été ouvre
à nouveau ses marguerites
pour nous deux
19
Le vieux four chauffe
blanc de chaux et noir de suie
le feu devient pain
20
Promenade de minuit
la maison vide dans la brume
un cheval hennit
21
De la porte de l’enclos
part un sinueux chemin forestier
l’araignée reste à la maison
22
D’où vient la brume
la nuit blanche demande au lac
des bruits de rame
23
En cueillant des lilas
les mains débordantes de branches en fleurs
la langue de feu des orties
24
La pleine lune jaune
dans le lichen une luciole
murmure en saluant « haï-kuu »*
25
Lorsque du puits je tire
notre eau de chaque jour
je m’agenouille
26
Un oiseau d’argile à la fenêtre
un rayon de soleil dans le vase poussiéreux
à la place de l’oiseau je chante
27
Les grappes rouges
du sorbier plein de sève
se reflètent dans la barque
28
Un nuage comme un continent
mais mon Amérique
c’est cet enclos de Finlande
29
Un ciel de plomb
une bande de paysage encore vert
l’hiver a touché le lac
30
Le silence reste ici
poème non écrit
nous partons demain
31
Huit étés
trois recueils souvent de la pluie
c’est peut-être ici que je suis né
__________
* Jeu de mots intraduisible ; en estonien kuu signifie « la lune » et hai (ou hei) est une forme de salutation. (N. d. t.)