Dans l’obscurité je suis parti et dans l’obscurité je suis revenu à Tartu comme si rien n’était changé
Tandis que de mes membres s’effaçaient la fatigue les kilomètres les collines et les routes sinueuses
Et cependant il n’y a que le lac Hino qui soit entièrement sacré et pur avec ses îles ses forêts et ses genévriers
Et ses fermes solitaires qui se dispersent dans le frémissement matinal
Quand le soleil à nouveau se lève dans la constellation du Héron et que le lac se détache de ce nom de ce temps de ce pays
Pour retourner aux sources dans une forêt plus sombre encore où il n’y a pas même encore de forêt
Il n’y a que les glaces et les eaux toute l’Estonie toutes les terres baltes remplies du ruissellement des ruisseaux clairs et froids
Des rennes des truites et des courlis et toutes les choses possibles qui depuis lors sont ou non arrivées
Éventualités d’une Livonie de légendes de cigognes noires de chansons et de pommeraies
Où toujours c’est quelque part le printemps où toujours la brise apporte l’odeur des eaux vastes et pures l’odeur des îles que personne encore n’a foulées
Quelque part le lac Hino morceau de réalité plus réelle où l’on peut s’égarer comme dans un regard d’où l’on n’a pas encore pêché les dernières truites saumonées ni effacé le dernier conte
Où toutes choses se côtoient comme à l’extrême origine les routes qui ne mènent nulle part l’eau et la terre
Où l’on parle la langue live et le soleil du mois de la boue corrode en moi une nostalgie sans sommeil pour ses fermes solitaires et pour ses bois de bouleaux
Traduit de l’estonien par Jean-Luc Moreau
Mais moi je voudrais être l’air
être le vent soulever des poissons volants
puis les reposer sur les vagues
je voudrais être l’eau
être un lac porter des nids de grèbes
huppés et miroiter dans l’ombre des nénuphars
je voudrais être une forêt
le refuge de tous et attendre
pousser bruisser puis un beau jour
reprendre aux routes et aux villes
ma terre jusqu’au dernier lopin
Traduit de l’estonien par Antoine Chalvin
La lumière sourit aucun de vous
ne peut me voir mais moi
je montre tout à tous — moi
je suis en route mais
tout finira avant que je
n’arrive quelque part — et je
ne peux rien faire d’autre que sourire
tous finiront avant que quelqu’un
ne comprenne vraiment comment je
peux être à la fois une onde et un flux de particules
Traduit de l’estonien par Antoine Chalvin
Le non-être est partout et l’être est plein de paix
que ta traduction de Lao-Tseu soit juste ou non le livre ouvert
te parle aujourd’hui comme un papillon aux ailes déployées et dans le pollen
se rencontrent le mouvement et l’immobilité semblablement
l’air du printemps ondoie à travers nos cheveux et nos vêtements
si je parle c’est aussi parce que la consolation est beaucoup plus
que nous qui l’attendons déferlement des eaux venues de toute part
toile de tente qui s’envole dans la nuit blanche de Laponie
colliers qui se défont phrases vie et sagesse
c’est lui c’est toi les yeux fondent
dans les nuages blancs c’est l’amour c’est lui qui nous découpe
dans du papier quadrillé laisse le feu nous réchauffer
et la pluie nous traverser jusqu’à ce qu’entre nous et le monde
s’effacent les dernières frontières c’est bien l’amour les feuilles des arbres
et la lumière sont comme nous pleines de traces de l’infini
nous resterons nous resterons ce qui n’existe pas
nous resterons ce qui n’est à personne
Traduit de l’estonien par Antoine Chalvin